mercredi 5 décembre 2012

J’aime pas l’école.

La nuit fonce encore les rideaux et MaPrincesse grognonne tandis que LePaf tire ses enfants du sommeil et sur les couettes.

Elle n’aime pas cette école qui la contrarie d’un bout à l’autre de la journée ouvrable.
Dans ses envies de sommeil le matin, dans son désir de jeu quand il faudrait s’habiller vite, dans son exigence d’un dvd le soir.

Elle lui en veut surtout car, avec elle, ont disparu ses privilèges.

Il n’y a pas six mois, c’est d’un œil à demi couvert par l’oreiller qu’elle pouvait observer l’agitation matinale.
La maison et son père pour elle seule, dès les autres partis user les pupitres ou les tapis de souris.
Le temps de badiner, se promener, passer toute une heure en n’ayant enfilé qu’une seule chaussette.
Les bras toujours aimants et disponibles des adultes de la crèche au si peu de contraintes.

D’une si délicieuse époque on ne peut faire le deuil.

Comme ces têtes russes et couronnées qui, tandis qu’on débaptisait Saint-Pétersbourg, s’entassaient en une bonne centaine de mille jusque loin dans Paris, par-delà l’enceinte Philippe Auguste pour certaines, sans le sou pour beaucoup, mais qui jamais, toutes dépossédées qu’elles puissent être,  les derniers bijoux vendus, les mains écorchées par les pieds de lampe faits maison et plus ou moins bien vendus au porte-à-porte, les yeux abîmés par les heures passées en atelier de confection de chapeaux pour dames épargnées par le sort, jamais, donc, ne céderaient un pouce de leurs manières aristocratiques.
Jusqu’à ce que Sainte-Geneviève-des-Bois, dernier abri des Russes blancs au sang bleu, les accueille.

MaPrincesse est de cette trempe
Elle ne saurait abdiquer devant une réalité contrariante et œuvra dès les premiers jours de rentrée pour se reconstituer un ersatz des glorieux jours d’antan.
Repérer celui ou celle des adultes qui cédera le plus aisément à ses moues et charmes de paupières.
Avoir à disposition des refuges de câlins, des aides compatissantes pour manier la fourchette, un amoureux pour tenir manteau, bonnet et doudou le temps d’un toboggan.
Reconstituer dans la faune de l’école cet univers de servantes et dames de compagnies en promenade entre les troncs de bouleaux pâles et diaprés.

A ces conditions  MaPrincesse parvient à reconnaitre quelques qualités à l’école qu’elle n’aime pas, certes, mais à l’exception de sa maitresse, ses copines et ses copains aussi.

Mais il est des jours où les séductions n’opèrent pas, alors les indulgences s’évanouissent, les rancœurs se déchainent.

Je dé-teste l’école.

On lui dit qu’elle exagère.
Elle, nous assure que non.
Elle n’est pas xagère.




mercredi 28 novembre 2012

Roux de pelage abondant et d’une diction suffisamment peu articulée pour qu’un peu de frimas et de mauvaise humeur ne la transforme en grognements.
LePaf est un ours.

Le contact n’est pas le fort de l’ours.

Pas que je n’aime pas les gens, mais les rencontres c’est difficile.
Il y a tout un tas de petits rituels ennuyeux avant de rentrer dans le gras de la conversation à tailler.

Des rituels compliqués.
Sourire trop ou pas assez.
Ne pas rire à la petite blague ou trop fort à ce qui n’en était pas une.
Être trop proche et taper sur l’épaule du père distant aux tempes, costume et cravate gris.
Faire dans l’excès de froideur face à la mère chaleureuse, toute en paroles et facilement tactile.

Pullulent les risques d’impair.
La sociabilisation, art difficile et examen permanent pour UnPaf inhibé par l’enjeu et plus proche du radiateur que des places d’honneur.

 Tandis que devant les  grilles de l’école certains adultes causent, plaisantent, se claquent deux ou quatre bises, LePaf, les mains serrées sur ses enfants, se pose mille question sur quoi faire de sa peau qu’il habille d’un demi sourire crispé.

Comment font-ils pour être aussi à l’aise ?

J’ai pensé un jour faire l’acquisition d’une méthode.
Et peut-être, habitué à ne voir une grande partie de la vie que passée par le filtre du papier imprimé, aurais-je pu faire mes gammes dans le très célèbre ouvrage de Dale Carnegie : Comment se faire des amis, ce best seller plus que septuagénaire, premier d’une série de livres pratiques qui se font de plus en plus d’espace sur les étals des libraires.

Mais j’ai opté pour les cours particuliers.

Trois professeurs m’accompagnent à l’école.
Tirant sur mes bras, hélant tel ou tel, à l’école, sur le trajet, dans les rues, les commerces, ils me forcent à pratiquer ce genre d’échange qu’on appelle discussion plusieurs fois par jour.

Tout cela ne m’a pas transformé  mais, coaché par ma marmaille braillante et à force de pratique je crois que je progresse.

Ses enfants finiront peut-être par faire quelque chose DuPaf.



mercredi 7 novembre 2012

Haussements d’épaule à s’en brutaliser les oreilles, soupirs en long dégonflement : MonAîné ventile ses humeurs noires dans la voiture.

LePaf s’en serait exaspéré dès les premiers kilomètres, mettant en danger passagers et usagers de la départementale.

Heureusement, les choses de la route sont l’affaire de ChèreEpouse.
Mes enfants vous le diraient, la conduite, c’est un truc de filles.
Un peu comme la scie sauteuse, les voyages d’affaire ou le montage de meuble.
Porter des bagues, passer l’aspirateur et faire la cuisine en tablier, voilà des occupations d’homme.

Mais revenons à la grogne.

MesAîné&Terrible reviennent d’une piscine municipale où de dévoués mais rémunérés maitres nageurs ont tenté d’inculquer les rudiments de la brasse académique à des enfants plus portés sur les plongeons en bombe.
La séance fut laborieuse mais ne peut pas être mise en cause dans la rogne de MonAiné.
Les répétitions d’ordres, les « allonge ton corps », « tu as entendu ce que je viens de dire ? », etc. glissent sur lui d’ordinaire et c’est plutôt ceux qui les prononcent qui tendent à devenir chèvre.

L’agacement est venu parce que, du plongeoir au saut de l’ange la conversation des garçons a dérivé jusqu’à ce qu’il soit question de religion.
Et le sujet l’énerve.
Depuis bien longtemps.
Avant même que le Père-Noël ne vienne, par son inexistence, briser les premières illusions enfantines.

Tout ne le dérange pas.
Les Grecs et leurs histoires d’Olympe, de Styx, c’est sur le bout des doigts qu’il les connait et  les récite sans même qu’on ne les lui les réclame.
Généalogie, noms grecs et romains, rien n’est omis dans son flot ; une vraie bête à concours.

Les signes dits ostensibles l’indiffèrent.
Enfant d’un arrondissement où les trois monothéistes s’expriment dans une relative égalité si on en croit les menus de la cantine, il ne voit pas de raison de s’étonner du foulard de la mère d’untel, de la robe du monsieur en sandales ou bien des branches de palmier, saule, myrte et cédrat que nos voisins de quartier tenaient récemment dans leurs bras.

Ce qui l’horripile, c’est le discours.
Qu’on lui présente la hiérarchie Créateur-créés comme aussi réelle que le pied de table sur lequel son père se pulvérise la structure osseuse du petit orteil chaque matin que Dieu, ou je ne sais quoi, fait, le rend fumasse et le remplit d’intolérance agressive.
Cela, pour peu que notre petite famille soit invitée à l’une de ces cérémonies confessionnelles qui rythment la vie de beaucoup, peut devenir fort embarrassant et vous contraindre à bâillonner le moutard pour lui expliquer qu’il est parfois de bon ton de faire dans la rétention d’opinions.

Dans les odeurs de chlore mêlées de relents peu agréables qu’ont laissés sur la banquette arrière quelques maux de transport enfantins mal contrôlés, c’est MonTerrible qui jouait ce jour-là le rôle du prêcheur. Vantant les anges, le paradis, les béatitudes et toutes ces sortes de célestes joyeusetés.

« Débile », « n’importe-quoi », « andouille » lui répond MonTerrible les maxillaires crispés.

MonTerrible ne s’émeut pas des aboiements fraternels.
Avec la vivacité du Parisien voyant une place assise se libérer dans la ligne 12 il enchaine :

Puisque MonFrère ne veut pas de religion, moi, j’ai le droit d’en prendre deux, non ?
Alors, moi, je pense que je suis protestant et catholique.
Protestant parce que je proteste beaucoup.
Et catholique parce que je mange du porc.






mercredi 4 juillet 2012

Episode 20 : où sonne l'heure du sprint final

ChèreÉpouse s’accroche pour se pencher vers l’ouverture latérale de l’hélicoptère.
Elle regarde le grand X s’éloigner, la piste de décollage vite avalée par la masse feuillue de la forêt qui l’encerclait.

Un premier voyage en hélicoptère se déguste, chaque sensation mérite d’être archivée et il s’agit de les multiplier.
Tout voir : le paysage qui change, grossit, rapetisse et tangue, comme le ballet des mains gantées sur le tableau de bord aux voyants qui scintillent.
Être attentive à cette boule qui bouge dans son ventre au rythme des déplacements de l’appareil, au bruit des pales que le casque étouffe.

Et cela n’a rien d’inconvenant car l’issue de ce voyage sera heureuse.
L’officier Delage l’a longuement expliqué tout à l’heure, les mains immobiles sur le dossier posé au centre de la table métallique dans ce bureau austère que seules décorent quelques notes administratives.

Entre le moment de leur départ pour la France cette nuit et maintenant les informations se sont accumulées et convergent.
Tout porte à croire qu’une transaction aura lieu au pied du grand rocher aux singes du parc zoologique.
Le policier se souvient avec précision que ce lieu a été évoqué à plusieurs reprises.
Il est à peu près certain aussi que LePaf et les enfants y seront.
Tous ont été repérés en fin de matinée dans un restaurant sur la route de la capitale.
Plusieurs hommes sont prévenus, déjà sur place, nous arriverons par le ciel pour l’interpellation et un parfait happy end.
Il l’a dit.

Tout se passera pour le mieux.
Tout se passera pour le mieux.

Tout se passera pour le mieux se dit LePaf avant de le répéter à sa petite famille aux nerfs éprouvés par les trop longues heures passées dans la voiture maintenant à l’arrêt sous les arbres d’une forêt municipale.
Erwan, Serge et les autres vont nous présenter à deux messieurs et ce soir on dormira tous à la maison.
C’est presque fini. Voyez, voilà Sergio qui revient nous chercher.

Pour toute confirmation, il n’obtient de leurs geôliers que des bouches tirées en ces sourires, trop larges et trop fixes pour y trouver le réconfort qu’il y voyait encore la veille.

Loïck planque à une cinquantaine de mètres de l’entrée du zoo, derrière laquelle s’élève le grand rocher plein de primates pour la plupart avachis sous la chaleur un peu lourde du début d’après-midi. En bon professionnel, il inspecte les lieux avant l’échange.

Les Clients ne l’étant pas moins, sont présents depuis le matin.
Tous deux vêtus de lin coupé à l’italienne.
Tous deux serrés dans cette tenue légère et ocre, laissant une vaste musculature apparente, cheveux châtains en brosse courte l’un et l’autre, durs et menaçants, interchangeables.
Depuis qu’ils arpentent les lieux les alentours se sont peu à peu remplis de familles en shorts, bermudas et jupes courtes, de notes de musiques, de vendeurs de barbapapa, de fanions publicitaires, messages grésillés sortis de mégaphones, de cris d’enfants et d’animaux.

Ils ont repéré depuis longtemps leurs fournisseurs.
Placés derrière Loïck, ils ne l’ont perdu de vue que lorsqu’une fanfare adepte de la musique répétitive leur a bouché la vue.

Jean-François, dit Jeff, dit Goldblum, dit Gold, premier altiste aux dents gâtées du « Cool as ta rem » est aujourd’hui à la tête d’un ensemble baptisé, quelques heures auparavant, la colonne locrio-éolienne.
Accompagné par dix camarades tour à tour souffleurs et chanteurs il a croisé les autres colonnes, perturbé leurs concurrents durant deux Guantamera, trois Cornichons et un Proud Mary et s’apprête maintenant à rejoindre, sans cesser de jouer, le final quand il pile devant ses camarades et crie :
« Le gamin de la gare ! »

Désorientés et en perte partielle d’équilibre ses collègues de colonne reprennent quand même en cuivres et chants « Le gamin de la gare ».

Non, mais le vrai gamin de la gare, là, avec la famille et trois autre types !

Comme tout le monde s’arrête autour de lui pour se tourner vers la fanfare en approche, MonTerrible s’empare de la pochette en cuir, contenant la formule retranscrite par MonAîné et trop nonchalamment tenue par Erwan.
Dans ses premières foulées, il ordonne à son père de partir avec les autres et court vers l’entrée du zoo.

LePaf pas formalisé pour deux sous par cette brutale inversion des rapports père-fils serre un peu plus ses mains sur celles des deux autres enfants, se précipite dans la direction opposée, et a déjà atteint la route passant devant le zoo quand Serge et Sergio démarrent.

Surgissant de derrière un stand de ballons publicitaires, Client n°1 arrive à leur niveau quand tous trois sont brutalement fauchés par une muraille de vélos lancés à pleine vitesse.

Sur l’autre bord dans le murmure de la foule, les souffles de plus en plus puissants des cuivres et les consternations mégaphonée du speaker, MonTerrible toujours en course. Six pas derrière ses trois poursuivants - Client n°2, Erwann et Loïck un peu en retrait, rouge, et soufflant fort.
Le guichetier, post adolescent menu, frisé et tirant vers le roux, a les yeux qui s’écarquillent et les bras qui l’en tombent quand MonTerrible escalade son réduit, s’y engouffre par la mince ouverture prévue pour les échange de monnaie et s’empare de son stylo de travail, celui tenu par une chaine à son socle, et qui d’ordinaire ne fait que contresigner des chèques.

En quelques savant moulinets c’est devenu une arme, tenant du nunchaku et de la masse d’arme, et dont la partie lestée vient frapper la patte velue d’Erwan juste avant que la pointe vienne diffuser son encre entre les métatarses couverts de crocodile que Client n°2 avaient aventurés dans une entrebâillure.

Leurs cris de douleurs à peine poussés, des hommes en uniformes les ceinturent vigoureusement, ne leur laissant que le temps d’imaginer leur revanche, dont on peut supposer qu’ils la fantasmeront longtemps durant les rêveries qu’occasionnent les promenades en rond dans les maisons d’arrêt.

Alors que toutes les colonnes se sont retrouvées au pied du rocher au singe, que le guichetier a repris son souffle et ses esprits, et que MonTerrible s’est extrait de la cabine de plexiglas, s’approche l’hélicoptère de ChèreEpouse.

Dans ce qui n’était qu’un amas grouillant entre route et forêt, les détails, à mesure qu’elle s’approche, se font plus nets et, dans ses jumelles elle peut voir sans erreur possible, son plus jeune fils danser de toute sa surnaturelle énergie au centre d’une cinquantaine de musiciens qui l’acclament à coups de cuivres et percussions.

Le parfait happy end.

mercredi 27 juin 2012

Episode 19 : ou le pénultième

MonTerrible est chanté sur tous les modes.

(Soient locrien, hypodorien, éolien, hypophrygien, phrygien, dorien, lydien, mixolydien, etc. si j’en crois mes souvenirs de Mme Grissoir, professeure de musique de la 6eC au collège Olivier Sabouraud sis à Charlesfert sur Don en Loire-Inférieure.)

Mais il faut le savoir car toutes les gorges qui, dans zoo et alentours, s’en gargarisent, évoquent le  « Gamin de la gare ».

Un peu de troc et le voilà héros d’une fanfare élargie à un nombre considérable d’anciens, occasionnels et affiliés.
La bonne humeur tellement habituelle qu’elle est presque un pré-requis de ce genre d’ensemble musical ne suffisant pas à expliquer un tel engouement il nous faudra bien sacrifier à un petit retour en arrière.

Pas bien loin, la veille suffira.

Une école d’architecture de la banlieue parisienne.
Trois trombonistes, une joueuse de soubassophone, trois trompettistes, deux altistes, un frappeur de caisse claire, une autre de grosse (caisse),  sont réunis dans une petite salle de classe avec tableau noir à un mur, chaises et tables empilées le long de celui lui faisant face.

Ce sont les « Cool as ta Rem », jeune avatar de l’antique tradition des fanfarons chargés, entre autre, de rythmer de cuivres les heures enivrées d’après charrette pour les étudiants en beaux arts, arts déco ou, ici, architecture.
A cela s’ajoutent quelques contrats, c'est-à-dire des prestations rémunérées afin d’animer tel ou tel événement comme, par exemple, le parcours d’une étape cycliste comme ce sera le cas demain.

Ce qui demande un brin de préparation.

Le répertoire, c’est secondaire.
La petite quinzaine de standards jouée et rejouée, à tous poumons et en toutes circonstances peut se passer d’une dernière répétition.
Ils sont suffisamment biens en bec.

La question des costumes est beaucoup plus sérieuse.
Il y aura d’autres fanfares. Elles joueront sensiblement les mêmes morceaux, à deux trois variations près, et de la même façon, exactement.
Seule l’allure permettra de se démarquer.

Les années 70 avec coupe afro et cols colorés ouverts ?
Un peu usé.
Le style maquereaux en costards blancs et chaussures ultra-pointues ?
Les « Lards des côtes » ne portent plus que ce genre de frusques ces derniers temps.

Vidons nos sacs. Répandons sur les lattes tannées et brunes du parquet toutes nos réserves de vestes, pantalons, chemises, robes, chaussures, foulards,  postiches et accessoires.
Trouvons- là, la formule, l’assortiment qui, entre toutes les fanfares, nous distinguera.

Au milieu du tas de textiles, quelques tubes en acier n’évoquent d’abord rien avant de ramener à l’esprit des messieurs dames présents, le souvenir de MonTerrible.
L’anecdote est racontée plusieurs fois, ornée à chaque fois d’un petit détail supplémentaire et tandis que les rires montent en puissance.
Sur une chaise arrachée à son tas, un pack de 36 bières tièdes déjà vidé de moitié.

On extrait des panamas des premiers tubes, on trouve ça excellent et on le dit avec force.
Plusieurs fois.
Puis du dernier tube tombe, dans la paume de la demoiselle en charge du soubassophone, un sachet plastique à fermeture zippée, rempli d’une poudre jaunâtre, avec comme inscription « Red Sitting Bull, 50 g ».

La réunion vient de se voir rajouter un nouvel ordre du jour.

La nature de la poudre ne fait pas trop débat. La question est : qu’en fait-on ?
Le deuxième trombone – par ordre d’ancienneté dans la fanfare – suggère que le sachet doit être pourvu d’une valeur marchande conséquente dont il serait dommage de ne pas profiter.
La joueuse de soubassophone fait remarquer que le commerce de ce type de substance est un métier dangereux et qui suppose une connaissance approfondie des milieux dans lesquels il se déroule d’ordinaire.
A quoi le frappeur de caisse claire ajoute que la moins risquée des options serait de remettre le sachet à la police avec un récit détaillé des circonstances de sa bien involontaire acquisition.
Un brouhaha aux notes négatives prononcées condamne cette dernière option.
La troisième trompettiste – mais on pourrait dire la trompettiste étant seule de son sexe à manier ici l’instrument – soulève la question de la consommation personnelle et met en avant la valeur de l’expérimentation par les excès – vieille lune chez les jeunes.
Le premier altiste, adepte de la vieille lune, croyance et pratique comme en atteste sa dentition abimée et aux teintes de caramel – se propose en cobaye.

Vingt-six bières vides – à l’exception de mégots pour certaines – s’étalent désormais entres les quatre murs de crépi blanc vieux et sales.

Comme vu à la télé le premier altiste pose un index prudent et humecté au préalable dans le sachet, en  porte le bout, recouvert de poudre, à sa bouche.
Puis grimace et secoue la tête, comme vu à la télé.

Un premier compte-rendu enthousiaste suivit d’une nouvelle prise, incite l’ensemble des fanfarons à jouer de leur index à l’intérieur du plastique.

Bientôt ils enfileront les vêtements posés sur le sol, enlèveront une partie des leurs, feront des échanges puis des superpositions jusqu’à ce que ne trouve plus par terre que des bouteilles partiellement vides – au nombre de trente six – une partie des tubes vides – trois remplissant une cartouchière à la bandoulière de la soubassophoniste, et le sachet ouvert.
(Les sacs et le carton du pack ont été accrochés aux plus hauts pieds du monticule de tables et chaises.)

Dans le même temps, ils appelleront toute une série d’amis : anciens membres pour la plupart, mais aussi ceux d’une fanfare amie, « Le corps du bousier ».
Le discours qu’ils leur tiennent est mal articulé, pas beaucoup plus cohérent mais dit avec assez de joie et de fougue pour convaincre. La seule chose claire est qu’il est impératif d’apporter son instrument.

Les vitres rectangulaires creusées dans un faible espace près du plafond n’envoient plus guère de lumière quand sous elles s’entassent cinquante vingtenaires.
C’est dans cette réunion serrée à ne pouvoir lever le coude, au milieu de ravissements furieux et d’yeux plus que rougis que se conçoit un projet grandiose, en tout cas plus ambitieux que le simple renouveau vestimentaire au départ prévu.

Ils se diviseront en cinq fanfares, réparties un peu partout autour du parc zoologique.
Chacune jouera un thème, le même, mais joué selon des modes différents.
Il faut qu’il soit simple et puisse se mêler aux tubes soufflés par les rivaux.
Le parcours doit permettre à chaque fanfare de croiser toutes les autres avant une réunion générale, finale et apothéotique devant le grand rocher au singe.


L’idée est acclamée dans l’unanimité démonstrative.
Un thème est trouvé, la répétition commence.
Elle durera jusqu’au moment de remplir une dizaine de voiture ainsi que le van blanc rehaussé du violet des lettres formant un « cool as » sur la gauche et « ta rem » sur la droite.
En route pour le zoo.


Ils se trouvent géniaux, se le disent et se le chantent tout en louant sans mesure le « gamin de la gare » - MonTerrible.

mercredi 20 juin 2012

Episode 18 : où une vessie fait lanterner

LePaf se tortille et fait se balancer l’enfant sur ses genoux.
Dans sa tête s’échafaudent les phrases et les intonations qui lui permettront de formuler sa demande sans risquer ni le refus, ni l’acceptation courroucée ni le ridicule.

Les relations ont beau s’être détendues, la hiérarchie n’est pas tout à fait absente.
Un impair peut avoir des conséquences un peu comme dans ces dîners collet monté où peuvent se jouer une promotion ou une intégration réussie. Le genre de contexte qui pousse à l’hésitation.
Mais il n’y a pas ici de temps pour la réflexion.

C’est sa faute aussi.
Il a pensé à y envoyer ses enfants en oubliant son tour.
Alors, bien sûr, il est désolé.
Surtout que nous venons juste de partir, c’est vraiment stupide mais il est impossible de se retenir plus longtemps.
Surtout avec MonAiné qui pèse sur la vessie
C’est qu’il pèse son poids.
Il va sur ses neuf ans et demi aussi.
Je comprendrais très bien que vous m’en vouliez, vous m’en voulez déjà sûrement.

Trois soupirs longuement expirés accompagnent un ralentissement et le virage conduisant à un restaurant routier à large parking et devanture.

A quelques décilitres d’essence de leur planque pavillonnaire, il se trouve que le routier est un endroit où les Sergio & co ont leurs habitudes.
Leurs rituels même.

Leur tendance à l’immuable répétition des gestes remarquée par l’employé du fast-food ne s’observe pas que dans les restaurants de hamburgers mais dans l’ensemble des commerces de bouches ainsi que, plus généralement, dans toutes sortes de lieux, publics ou non.
Des chorégraphies qui se mettent en place spontanément dans les vieux quatuors.

(Oui quatuor car la forme quintet avec le chef est moins souvent réunie, les responsabilités d’André l’amenant à fréquemment parcourir le monde. C’est, en quelque manière, leur ChèreÉpouse à eux.)

Ce sens spectaculaire et quasi gracieux de la routine se fait remarquer.
Alors qu’ils se pensent d’une discrétion professionnelle et sans faille, Erwann et autres ne sont pas loin d’être devenus de petites attractions dans toute une série de lieux entre la capitale et la fin de la terre.

Dans ce routier par exemple, donc.


Dès après avoir aperçu le vert bouteille du break de chasse avancer sur le gravier du parking, Jean-Mi, habitué des lieux au point d’y avoir son rond de serviette et sa marque de coude sur le zinc, flaira la combine.

Jean-Chri son voisin de coude en pleine dégustation d’œuf dur, exerce l’honorable profession qui donne sa raison d’être à l’endroit.
Client très occasionnel, car spécialisé dans le transport paneuropéen, il fera un très beau gogo de circonstance.

-    «  Jean-Chri, mon Jean-Chri.
Qu’est ce que tu dirais d’un petit pari ?


-    Ah,  ben…  – postillons de jaune d’œuf qui viennent se planter en pollen au bout des poils de bras de Jean-Mi – Pourquoi-pas.

-    Alors voilà, j’essaie de deviner à quoi vont ressembler les quatre prochaines personnes et à chaque fois que j’ai bon, tu payes un coup. Et puis, si je me plante, c’est moi qui rince. Simple.

-    Tope ! – verre de blanc jeté droit dans le fond du gosier. La sieste prévue devant faire disparaitre cet impair à la législation – Alors ?


-    Alors je te parie que le premier à rentrer sera un gars comme une armoire, presque chauve avec un  blouson de cuir.


Mais c’est LePaf qui fait tinter la sonnette signalant les nouveaux arrivants.
Suivi de près, collé même par Sergio jusqu’aux toilettes, il offre l’occasion à Jean-Mi perturbé mais pas démonté de se relancer.

Argumentant qu’il n’avait pas vraiment tort en ce que la proximité des deux ne permettait pas bien de dire qui a passé la porte avant qui.

Le Muscadet Sèvre et Maine aidant, Jean-Chri tope pour un quitte ou double.

-    « Le prochain sera un type plus bombonne qu’armoire mais costaud quand-même. Avec des long tous cra-cra sur la nuque et plus rien sur le dessus de la tête. »

Caramba ! Encore raté.
Sans pinaillage possible car c’est le mince Erwan qui accompagne cette fois MaPrincesse angoissée de ne pas voir vite revenir son père au point d’avoir brisé les oreilles et malmené les nerfs de tous les occupants de la voiture, enfants mâles compris.

Plus d’autres passages, Jean-Mi n’aura pas l’occasion de se refaire et cette entorse aux usages aura fait un heureux en la personne de Jean-Chri à ceci près qu’il est contraint à de complexes calculs pour évaluer le temps de sieste supplémentaire dont il aura besoin pour prendre la route.
Mais elle aura aussi été l’occasion de miner le moral de cinq autres.

Cinq.
En plus d’un Jean-Mi surpris par ce bouleversement des lois de l’univers et râleur à la pensée de sa défaite, il y en a quatre qui se demandent si toute cette nouveauté ne tente pas trop le sort.

Pour les rassurer, on pourrait leur dire qu’au Ghana, André n’a fourni aux policiers aucun détail susceptible de les mettre en danger.
Le manque d’information ne fait pas l’affaire de Delage pagayant dans les questions.

Que tirer du peu d’informations dont il dispose ?
Qu’est ce qui aurait pu lui échapper ?
Que dire à ChèreÉpouse alors que la disparition de sa famille semble être un peu plus qu’une hypothèse ?

mercredi 13 juin 2012

Episode 17 : où on passe brièvement devant des buissons ardents

MonAîné lève le doigt en l’air.

Alors qu’autour de lui tous se prépare et que, des habits propres donnés par LePaf, il n’a enfilé qu’une chaussette et un polo, encore bloqué, embouchonné au niveau de l’encolure, il se contente d’agiter son bras ponctuellement rehaussé par de petits bonds sur pointes de pieds.

Mais dans cette matinée à l’effervescence proche des trente minutes entre lit et chemin d’école, ça ne suffit pas pour capter l’attention.

LePaf s’y prend à trois fois pour nouer correctement les chaussures de MaPrincesse.
MonTerrible, prêt depuis longtemps transporte les sacs jusqu’au coffre du break de chasse Jensen Healey GT.
Sergio sort enfin des toilettes dans lesquelles il est entré - et sorti - avec son désormais habituel sourire de demi-lune pour vérifier les armes et munitions qui lestent son sac de sport en chanvre bio.
Erwan et Loïck, au su et vu de la collectivité, préparent et emballent de bien plus inoffensifs sandwichs pain de mie – jambon – emmental.
Serge, aujourd’hui de jaune citron vêtu sous son tweed à coudières, fait subir une série de tests et réglages à une balance de cuisine où est précisé qu’elle est interdite pour toutes transactions selon la décision n°76.1.15.626.2.4 du 20 octobre 1976

Trop d’attentions pour en concéder des restes à MonAiné.

Il y a bien LePaf  pour venir vers lui mais c’est moins à l’index dressé qu’au retard dans l’habillage qu’il s’intéresse. Une mauvaise habitude dont la trop grande fréquence l’a fait rentrer dans la liste resserrée des choses susceptibles d’emmener la voix DuPaf jusqu’aux aigues briseuses de verre.

Faire le dos rond, ajouter un slip pour une paix rapide mais précaire avant de relever son doigt avec des « Messieurs » criés comme alliés, qu’il espère décisifs, pour la conquête du public.

Messieurs !
Tout le monde !
J’ai retrouvé la formule de l’indien dont vous avez parlé hier soir au repas.

Silence et immobilité soudaine autour de MonAîné tout heureux de devenir à l’instant le centre des presque toutes les attentions.

Les cinq adultes présents se rapprochent en cercle autour de l’enfant aux deux sous vêtements et tiers de haut.
Sa voix sonne alors comme ces notes de flûtes qui charment enfants, rats, serpents et, il faut le croire, certains adultes, qu’ils soient indépendantistes en armes ou pas.

Il me faudrait un tableau, s’il vous plait.

Demande aussitôt accordée.
Un aussitôt correspondant au temps pour les bretonnants de conciliabuler, et d’envoyer le rond Loïck au garage y chercher le paper board des préparations de plastiquage d’une cossue bicoque d’été de Parisiens et autres braquage d’établissements colons.

Devant l’assistance assise, le cours commence :


« En fait, c’est en relisant Histoire des codes secrets que j’ai compris. Si vous relisez le livre d’Yvon dans les chapitres consacrés à la drogue et à tous ces produits dangereux et interdits même si lui dit, enfin écrit, le contraire, et bien on voit, dans les passages où il a rajouté des choses à la main… »

S’ensuit une longue explication, très technique que, n’ayant pas les mêmes tournures d’esprit que MonAîné non plus que sa connaissance de l’œuvre de Simon Singh il n’est pas dans mes compétences de reproduire avec exactitude.
L’auteur prie ses lecteurs amateurs de ce genre de résolution de l’excuser de ne pas être à la hauteur de leurs attentes.

D’autant que les adultes présents lors de la brillante démonstration décorée de force schémas, équations et formules en langage Mendeleïev arborent des airs enjoués tout illuminés d’étoiles oculaires.

Du côté des possesseurs d’armes, on se dit que ce papier maintenant arraché au tableau amadouera de beaucoup l’humeur facilement agressive des Clients.
On soulage à l’occasion sa conscience : des Clients heureux ne sauraient faire trop de misères aux otages dont ils prendront livraison.

Pour LePaf, le motif de réjouissance est assez semblable même si moins nettement formulé, autocensure de survie oblige.

Après une longue séance d’applaudissements pour un MonAîné répondant par courbettes et rougissements de fierté, les huit ex-colocataires et actuels passagers entassés s’échappent de la série vallonnée de bâtisses semblables blanches aux toits d’ardoises, garages, pelouses et basses haies de pyracantha à baies rouge, créant l’unique et fugace mouvement parmi les maisons clones endormies qui l’oublieront bien vite.

mercredi 6 juin 2012

Episode 16 : où il est dur d'être dur

MaPrincesse se réveille rouge et chiffonnée, bouche sèche et visage gravé des coutures du bermuda de MonAîné.

Mauvais départ.
Il était donc heureux que le spectacle qui se dessine devant ses yeux à peine dessillés soit assez burlesque pour que ces premières minutes grincheuses s’effacent derrière le fracas de rires en éclats.

Descendus en fanfarons, virilité inébranlable en bandoulière et épaules qui roulent au rythme des marches descendues, la bande des quatre s’est trouvée toute penaude quelques pas plus tard, quand il s’est agi de parler aux otages.

Un enlèvement, finalement ce n’est pas si dur.
Une décision vite prise, un minimum d’organisation et l’émulation pour doper la détermination et le chemin de la gare à cette cave sarthoise n’était pas si lointain.

Avoir le droit de vie, de mort et toutes choses intermédiaires plus ou moins agréables sur ses enlevés, c’est autrement moins léger.

Les longs débats ne furent pas simples mais la confrontation monte d’un cran l’échelle des complications.
Quelles étaient nos résolutions déjà ?

Sergio en avant cache vaguement les autres derrière lui, notamment Loïck qui déborde de chaque côté du cadre fait par les trois corps en triangle devant

Le temps de se faire un visage ferme et, de trois fortes inspirations, Sergio a déjà pris le parti de se placer en queue de peloton, laissant Erwan et Serge se regarder avant de chercher à se placer l’un derrière l’autre dans un mouvement de sprint groupé inversé.

Un mètre, deux, trois déjà de recul devant un quatuor de spectateurs pris dans le suspens de la drôle de course, à la fois attentifs aux efforts des compétiteurs comme aux difficultés du parcours
Comme cette large poutre, invisible aux sportifs alors que sa taille et sa positions mettront dans un instant un terme à la course. 

Et le perdant fut Serge.
(Ou, pour LePaf et fils, le moustachu, réduit à Moustache par MaPrincesse, précoce amatrice de synecdoques.)

Raclements de gorge, époussetage du tweed à gros chevron couvert ça et là par la poussière de cave remuée par tous ces efforts et long grattage des pièces aux coudes, le temps de réunir un peu de contenance.

Enfin, le courageux soldat, sous-chef d’une équipe dont le nom seul fait se secouer de frousse tous les bretonnants tièdes à l’ouest de la Sèvre Nantaise, consent à prendre la parole devant trois enfants rieurs et leur père qui, malgré le récent spectacle, ne serait pas contre le soutien d’une cellule d’assistance psychologique là maintenant tout de suite.

« Mes chers enfants,
Monsieur,
Je me mets à votre place, vous devez vous demander ce que vous faites là.
Disons que nous avons perdu quelque chose de très important et, je suis désolé pour vous, mais vous êtes ce qui nous a semblé, comment dirais-je, le plus susceptible de le remplacer.

Enfin pas vraiment.

Disons plutôt que, dans notre lutte à laquelle je suis sûr vous êtes sensibles, il y a des besoins, financiers par exemple, qui nous obligent à faire des choses qui ne nous plaisent pas vraiment mais, quand la cause est juste, hein ?
Enfin, vous voyez ce que je veux dire.

Voilà…

Bon, et sinon, Yvon, il vous a dit quoi ?
Il vous a parlé de nous ?
Il a ?...
Il aurait laissé des objets qu’il aurait fallu remettre à des gens, comme nous ?

Non ?...
Non, c’est bien ça.

Alors voilà ce qu’on va faire.
Pour l’instant, vous allez rester ici et on partira demain matin.
Tous ensembles.
Non, vous ne pouvez pas partir maintenant, désolé, je sais bien que c’est embêtant, mais vous savez, la cause… Enfin vous comprenez, quoi.

Donc demain, on va voir des gens qui s’occuperont de vous.
Je veux dire… Ne vous inquiétez pas je suis certain que tout va bien se passer, ce sont des gens… Des gens… Des gens d’honneurs.
C’est ça, d’honneur.
C’est très important pour eux.
Alors il ne faut pas s’inquiéter, ça ne sert à rien.

Et donc… et bien…
À plus tard. »

Départ groupé et têtes basses se relevant brusquement par instant pour adresser des sourires un peu trop larges à la famille de détenus jusqu’à atteindre la porte de la cave.
Derrière celle-ci, aussi délicatement refermée que si les otages avaient été des nourrissons endormis, s’entendent aussitôt chuchotements, soupir, claquement sourds de paumes sur le front.
Eventail peu sonore des disputes feutrées.

Silence en haut.
On ouvre à nouveau.

On envoie Erwan en délégation, surveillée de plus haut par trois têtes penchées et tout aussi fixement souriantes que lors de la montée.

Erwan croise, décroise ses bras devant, derrière, avec les claquements des larges manches de sa veste chinoise.

« Alors voilà.
Je crois que vous n’avez pas mangé depuis longtemps.
Il se trouve que nous non plus.
Donc, si voulez monter, on va dîner.
Et puis pensez à prendre quelques affaires propres, je crois qu’il en reste dans vos sacs.
On comptait lancer une machine de toutes manières.
Il y a ici un lave-linge séchant.
Ah et aussi, avant de monter, voici. »

Là descendent de bras en bras en une chaine bretonne matelas pneumatiques roulés en boule, minces matelas de gymnastiques, duvets en tissus à motifs écossais et couvertures orange et marron, hérissées de peluches et de poussières qui, toute délicate que soit l’attention, risquent de ne pas faciliter l’élimination des rougeurs présentes en nombre dans les yeux de MaPrincesse depuis son réveil.

mercredi 30 mai 2012

3terlude

« Tout concourt à se tromper de cible ; ce qui n’empêche pas de tirer dessus à chevrotines redoublées depuis tellement de décennies qu’il n’y a plus que deux choses certaines :
-    La santé de la cible résiste aux pires traitements.
-    Les tireurs auront montré autant d’obstination que de stupidité.

[…]

L’ivresse et autres extases artificielles n’ont été perçues ici que sous l’angle de la fuite donc, du point de vue du grand corps social, de la désertion. Crime suprême qui, on le sait, ne finit jamais que face au peloton d’exécution.

[…]

La transe a beau effaroucher par ses excès, elle n’est souvent pas plus déchéance pleine de bave et de grimace que la démission spectaculaire d’un pauvre hère harassé par la modernité.
C’est la visite édifiante des coulisses, du revers du monde
Ce qui, pour qui connait la clef, le plan d’accès, les règles d’usage, et le chemin du retour, peut donner de quoi renverser le monde existant pour le refaire mieux et plus fort qu’il ne l’a jamais été. »

Extraits (supprimés lors de la publication) d’Armoricana d’Yvon Jezequiel

mercredi 23 mai 2012

Episode 15 : où le bon goût se fait malmener

MaPrincesse, indifférente aux dangers qui se sont joués au-dessus d’elle et descendent maintenant, sur huit jambes, dans la cave humide, dort d’un sommeil profond et souple, limpide quoique son visage strié de bave séchée puisse faire croire à des agitations. Paisible et rayonnante dans sa pâleur coiffée de roux, comme sur le lumineux fond d’écran de quinze pouces d’une ChèreEpouse éreintée par sa journée, excédée par les constant débordements de son protecteur rapproché et désespérée de ne pouvoir se connecter au réseau mondial pour avoir des nouvelles fraiches de la famille, le téléphone Pafien étant, il faut le croire, éteint.

D’une telle accumulation de déplaisirs elle ne peut voir dans les coups frappés à la porte qu’un présage de nouveaux désagréments. Et ce malgré une nature – je crois vous l’avoir déjà dit – portée à un optimisme d’une telle constance qu’il est surnaturel.


Et le choc esthétique consécutif à l’ouverture de porte tendrait à confirmer les sombres prédictions. Des couleurs criardes qui débordent, semblent vibrer, bouger de manière indépendante, sans doute dans une bien compréhensible intention de fuir la chemisette hawaïenne qui a entrepris, dans un geste criminel, de les réunir sur elle.

Derrière, deux hommes aux reposantes teintes sombres du costume de l’officiel comme le montrent les plaques tendues face au visage de ChèreEpouse, lui présentent en cœur l’auteur de l’attentat visuel : « l’officier Delage ».

S’ensuit, tout ce petit monde installé dans les deux fauteuils club et le canapé du petit salon, un grand verre d’eau devant chacun, un déluge d’informations inquiétantes pour la plupart, importantes, toutes, plus en tout cas que ChèreEpouse n’en a entendu, sa vie entière durant.

Les deux costumes aux papiers assurant leur appartenance à un des ces corps d’Etat dont les amateurs d’espionnage et barbouzeries suivent les aventures fictionnalisées tout en étant très contents de ne pas y être mêlés d’une quelconque façon, ces deux messieurs, donc, présentent tout au long du discours explicatif de l’officier Delage des airs de gravité compréhensive si parfaitement identiques qu’il est à peu près certain qu’il est issu de leurs années de formation.

Ainsi encadré par ce qui donne solennité et sceau d’officialité, l’officier au crâne poli et habits dont la charité nous interdit de parler une fois de plus, livre un discours dense en informations et rythmé par ce balancement si typique de la prose de rapport officiel.

Balancement dont je vous prive préférant à sa restitution fidèle un résumé, moins charmant mais aussi moins propre à vous lasser.
Faites-moi donc un peu confiance.

Nous avions laissé Delage dans la maison d’Yvon envoyant LePaf et fils (et fille) se planquer dans le désordre de l’étage. Pendant que les enfants se prenaient au jeu du cache-cache autour de leur père, tous sangs d’encre rongés, le défenseur armé de l’ordre républicain faisait la connaissance de Sergio, Loïck, Erwan et Serge.

Un solide entrainement, un système nerveux naturellement peu sensible aux fortes pressions et hautes températures, le tout épaulé par un physique bonhomme pour lequel il est tout à fait difficile d’éprouver de l’antipathie lui permirent de duper les quatre qui, malgré une agressive méfiance en banderole démontrèrent surtout une naïveté balourde.

Réussissant à leur fausser compagnie sans esclandre et, même, accompagné par les saluts rituels réservés aux camarades de la cause, Delage, une fois rassuré sur les destinées Pafiennes se pencha davantage sur la branche armée de la famille Jezequiel.

Aidés par la surveillance téléphonique mise en place sur l’ensemble des participants à la tournée africaine de ChèreEpouse – fort peu discrète, veuillez nous excusez – il n’aura pas fallu beaucoup de temps pour le localiser.

Nous sommes donc ici pour procéder à l’interpellation du suspect dont nous espérons tirer les informations suffisante à l’arrestation de ses complices ainsi que des gens qu’ils doivent fournir en stupéfiants en même temps qu’obtenir les informations nécessaires à la libération de votre famille dont tout porte à croire qu’elle est actuellement retenue en otage par lesdits complices.

Et ChèreEpouse de rester tout ce temps de révélations anxiogènes bouche bée devant l’éprouvant spectacle lumineux de la chemisette dont nous avions pourtant convenu de ne plus reparler.

mercredi 16 mai 2012

Episode 14 : où vient enfin le temps des présentations

MonAîné se demande si le vieux monsieur rouge et blanc qui s’appelle Yvon Jezequiel comme c’est écrit sur la première et la dernière page de son livre sur la musique, ce qui est normal parce que papa aussi il écrit sur la musique, enfin pas seulement mais souvent, et que c’est pour son travail qu’il a emmené tout le monde, tout le monde c'est-à-dire moi, mon frère et ma sœur mais pas maman que son travail a fait se déplacer aussi mais ailleurs et loin.
Bref, je me demande si Yvon est plus fou quand il écrit ou quand il parle.

Il ya des moments dans son livre des moments où on apprend plein de choses intéressantes et puis d’autres où on ne comprend rien mais ça ressemble un peu à ces messieurs qui, dans la rue ou le métro ou le bus mais plus dans la rue ou le métro, ces messieurs, donc, qui parlent tout seuls avec des cris soudains et sans raison, enfin sans raison évidente, plusieurs fois au hasard de leur monologue.

De fait, nos quatre soldats de l’armée de libération contre l’oppresseur français voire fasciste, n’ont jamais trouvé le frère du chef bien fiable eux non plus.

Mais peut-être serait-il temps de prénommer ces messieurs depuis maintenant sept épisodes et deux interludes qu’ils furent décrits par le menu dans un restaurant de hamburgers.

Reprenons donc l’ordre des premières présentations :

-    "Le robuste dégarni d’abord. Toujours vêtu d’un cuir brun et élimé on l’imaginerait bien porter dessous le genre de débardeur taché de sang par une heure trente d’héroïques castagnes et catastrophes cinégéniques. Une rude virilité soulignée par un port de lunettes fumées sur des montures en métal doré couvrant un bon tiers de son visage", a pour petit nom Sergio ce qui est loin d’être en soi un brevet de bretonnitude. D’où peut-être un rien d’excès dans son combat. Vous me direz, il a choisi la frange – celle de la lutte armée – propre à assouvir son penchant pour la radicalité. Mais à l’intérieur même des extrémistes, il effraie par ses propositions. Dans le débat qui a précédé la descente à la cave dont il a déjà été question lors des deux derniers épisodes – ce récit en est à une phase stagnante traversée de retours sur soi – Sergio, pessimiste quand à la possibilité d’obtenir quelque information que ce soit de la tafiole et ses trois mômes fut partisan d’un massacre exemplaire propre à montrer aux Clients qu’ils n’étaient pas moins méchants qu’eux.

-    "le géant au crâne lui aussi semi-nu mais pourvu sur la nuque d’un long filet d’une chevelure blonde dispersée en tentacules humides de graisse. Adepte du cuir comme son devancier à ceci près que la couleur vire cette fois au pourpre et que la forme plus longue, dite trois quart, laisse des rebords ouverts former comme des parenthèses autour d’un quintal au bas mot" fut baptisé d’un Loïck bien dans le goût de sa région natale et de cœur. Jamais vraiment remis d’une déchirante parenthèse de treize années passée en banlieue parisienne, il éprouve quotidiennement le besoin de résoudre les problèmes de mélancolie causés par ce traumatisme à l’aide de fortes quantités de vin rouge et de nourriture carnée. Prenant peu part au débat, il se range toujours à l’avis de son ami d’enfance : Erwan.

-    Erwan, c’est le "quinquagénaire à lunettes, gris de crin court et qu’on imagine plutôt maigre dans ses amples vêtements à la mode chinoise bretonnisés d’un lourd triskèle en pendentif". Malgré son nom du cru, Erwan est né à Puteaux où il s’est lié d’amitié avec Loïck dès les premières années de leur passage commun à l’école publique, laïque et obligatoire formant ici un duo de silhouettes ayant quelques airs de famille avec de célèbres personnages du cinéma muet. Descendant d’une bonne, partie chercher un peu moins de misère en direction de Montparnasse, Erwan n’a jamais douté de la légitimité de son combat et serait fort surpris qu’on puisse le considérer plus comme un converti que comme un natif. Dans la palabre pré-descente, Loïck passa un temps, selon ses camarades, beaucoup trop important, à peser chacune des options possibles. Avant d’opter pour un dosage de l’ensemble (interrogatoire des prisonniers sans violence excessive et remise aux Clients pour ne pas avoir à se poser la difficile question du sort de la famille Pafienne).

-    "le sombre moustachu. T-shirt à col montant entre le rouge et le jaune suivant les jours et l’éclairage sous une veste en tweed rapiécée aux coudes" s’appelle Serge. Avec "une peau soumise à une pilosité brune, dense, drue et trop vivace pour se tenir longtemps tranquille après le passage du rasoir" on l’aurait volontiers appelé Sergio, plus que son camarade cité trois paragraphe au-dessus. Mais, avec toutes les générations précédentes connues nées dans les Monts d’Arrée, personne ne contestera, malgré des carnations plus typiques des pays méditerranéens, la pureté AOC de ses origines. En tant qu’habituel "distributeur des tours de paroles à coups d’index pointé" il est, en l’absence du chef – André bien sûr – le preneur de décisions. Et c’est pour le compromis proposé par Erwan qu’il opte.


Maintenant que la décision est prise, il est temps de descendre à la cave pour commencer à poser quelques questions aux détenus parisiens.
Ne restera alors que le problème André.
Sans nouvelles du chef, il faut espérer qu’il réussira à rentrer dans les temps pour être au rendez-vous donné au rocher aux singes du parc de Vincennes ce dimanche.
Il est assez à craindre que les clients ne prennent pas extrêmement bien une contrariété supplémentaire.
Même Sergio serait prêt à l’admettre.




mercredi 9 mai 2012

Episode 13 : où un Indien entre brièvement en scène

MonTerrible a dans sa paume un trésor.
De toutes les choses glanées depuis le grand départ la plus belle trouvaille est ce simple caillou, blanc, galet poli et doux comme une caresse maternelle.
Caresses maternelles qui lui manquent beaucoup.

Surtout maintenant que les amusements sont passés, et qu’il se retrouve dans cet endroit qui sent mauvais, et où il fait froid.
En plus le livre l’ennuie.
On y parle d’indiens, de musique et de tout un tas d’autres choses qui pourraient être chouettes mais en fait on ne comprend rien à ce qu’il dit. Il n’y a pas l’air d’avoir de bataille ou de grosses fêtes.
Si même dans les livres on ne trouve plus d’aventures il n’y a plus que l’ennui.
Partout.

Un frère qui continue à lire avec, sur les genoux une sœur endormie.
L’ennui.

Un père qui ne répond plus comme lorsqu’ il est en colère ou travaille ou revient d’un déjeuner avec ses amis.
Un père inutilisable.
L’ennui poisseux dans lequel on s’empêtre.

Alors à défaut de quoi jouer, des caresses maternelles dont le souvenir remonte à loin, peut-être plus encore dans l’esprit de ChèreEpouse, on passe le temps en égrenant son butin puis on se charge de la douceur de ce galet tellement blanc, régulier, parfait qu’il est surement chargé de pouvoirs magiques.

« Comme une pierre philosophale tu crois ? »

Mince, il pensait à voix haute ?
MonAiné est pourtant toujours à sa lecture.
Il aura imaginé cette question de SonAiné tellement MonAinesque que cette pierre philosophale pourrait en être la cinquième essence ?

C’était quoiqu’il en soit une réflexion pertinente et assez proche de la réalité tout étonnant que cela puisse paraitre.
Puisque je vous l’écris !
Et LePaf à la double condition qu’il ait écouté le bref échange – partons du principe qu’il n’était pas imaginaire – entre ses deux fils et ait pu aller jusqu’au bout de son souvenir.
Double condition impossible si on y réfléchit un instant.

Et puis il n’est pas sûr qu’aller au bout du souvenir ait suffit car, à vrai dire, la fin du récit jezequielien, LePaf, entre embarras, pressions de la foule et souci bien légitime de sa progéniture, ne l’a écouté que très approximativement.

Si LePaf avait été le narrateur omniscient de sa propre histoire, au courant de tous les détails concernant de près ou de loin les péripéties passées et à venir par lesquelles passe l’ensemble de sa famille, voici ce qu’il aurait su des affaires Jezequiel :

Yatho Glaz, la cinquantaine avancée n’en déplaise à ses long cheveux nattés d’un noir absolu qui refuse de blanchir est, comme le précisait Yvon lors de ce bref instant durant lequel il bénéficiait d’une oreille attentive, est un membre de la nation Cherokee originaire de l’Etat de Géorgie.

En plus d’avoir tenu la basse d’un groupe de musiciens à franges, plumes et maquillage tentant de marier les signes les plus reconnaissables de la country & western et des chants et flûtes amérindiennes propres à ses origines, il a longtemps exercé l’honorable travail de laborantin dans une usine de cosmétique.

Une allergie de plus en plus marquée aux contraintes de la vie professionnelle ajoutée aux faibles revenus tirés de son activité artistique l’auront conduit vers les plus profitables eaux des confection et commerce de drogues de synthèse. Domaine dans lequel il s’est rapidement révélé très doué, notamment en ce qui concerne la production où il développa, de l’avis même de la plupart de ses clients, une inventivité de l’ordre du don divin.

Quelques bisbilles commerciales qui, dans ce milieu, prennent vite d’importantes et funestes proportions, lui rendirent très séduisante l’invitation à se produire – en tant que bassiste de groupe – en France, ainsi que les possibilités d’y rester en compagnie d’une Léonarde rencontrée, conquise et épousée sur place en moins de temps qu’il n’en fallait alors à ses camarades musiciens pour dilapider dans les différents troquets locaux les dividendes des quatre dates de leur tournée internationale limitée à l’ouest finistérien.

Depuis lors, les nombreux festivals musicaux se déroulant dans sa nouvelle région d’habitation suffirent à pourvoir aux modestes besoins de sa petite famille et ce jusqu’à ce que les plaintes d’Yvon Jezequiel réveillent en lui la folle ambition qui marqua ses débuts dans les stupéfiants.

Proposant d’associer ses compétences aux moyens et réseaux du frère indépendantiste, il se remit à l’ouvrage avec tout le cœur qu’il lui fut possible de mettre dedans.
Ce n’est que le retour de l’eau de feu à ses envoyeurs se répétait-il quand ses pensées venaient à errer près des régions de la mauvaise conscience.

Mais l’ambition fut contagieuse.
Et les clients, alléchés par la galopante montée en qualité des produits se mirent à voir les choses en grand et augmentèrent leurs exigences qui auraient paru extravagantes si elles n’avaient été appuyées par de menaçants gros calibres.

Panique chez les entremetteurs bretonnants du gang d’André, eux-mêmes transmettant menaces et inquiétudes à Yvon et Yatho.
Le premier choisit comme remède aux angoisses un doublement de sa consommation habituelle d’anesthésiants en tous genres quand le deuxième opta, entre toutes les poudres qu’il croisa ou confectionna durant sa vie, pour celle d’escampette.
Bon camarade, il laissa tout de même à Yvon un exemplaire de son nouveau produit révolutionnaire dérivé de l’ibogaïne, la formule permettant de l’obtenir, un laboratoire en état de fonctionnement ainsi qu’un curieux minéral blanc et lisse, indispensable selon ses dires à l’opération.

Yvon, entre deux crises d’irrationalité explosive, cacha l’échantillon dans un de ses tubes à chapeaux, le caillou derrière l’autel d’une vieille église désaffectée à quelques centaines de mètres de chez lui et entreprit de coder la formule et ce, sans y comprendre quoi que ce soit, pour en faire une énigme si tortueuse que seul son esprit, sculpté par des années d’excès, paraissait apte à s’y diriger.


Vous aurez compris qu’il lui fut impossible de remettre la main sur tout cela d’où une panique qui, comme nous l’avons déjà vu est aussi contagieuse que l’ambition et se mit à gagner notre mini armée d’indépendantistes. Lesquels ne trouvant plus ni André ni Yatho se rabattirent sur la famille Pafienne qui avait eu la mauvaise et très soupçonnable idée de chercher récemment à rencontrer Yvon.

Ne sachant pas trop s’ils pouvaient espérer tirer d’eux quelque information utile ou en faire un présent suffisamment amadouant pour les acheteurs de stupéfiants en gros qu’ils étaient censés contenter dans peu de temps.

En l’absence de leur chef parti gagner son bara et se fournir en matières premières du côté de l’Afrique, c’est sans avoir pris de réelle décision qu’ils étaient descendus visiter leurs prisonniers tandis que LePaf se revoyait dans l’odeur des hamburgers de gare et que MonTerrible se frottait la joue de son caillou.

mercredi 2 mai 2012

Episode 12 : où le souvenir se fait refuge

LePaf est détendu.
A partir d’un certain niveau d’invraisemblance et d’intensité, à quoi bon se mettre le grand-père de Charlemagne en tête pour chercher des solutions, échafauder des plans d’évasion, ou même de comprendre ce qu’il fait sur ce sol humide et poussiéreux qui tacheront, à coup sûr, son fond de pantalon ainsi que ceux de sa famille à un point qu’ils seront certainement très difficile à ravoir ?

Rien, même les situations quasi cataclysmiques ne l’empêcheront donc de penser, lessive, vaisselle, serpillière et baignoire à récurer.
Pareil à ces animaux décapités qui continuent à courir en tous sens.
LePaf se mord la joue devant ce qu’il considère comme une comparaison tout à fait déplacée vues les circonstances assez hautement dangereuses tout de même.
Si si. Au moins potentiellement.

Ne pas penser, revenir à cet état d’hébétude qui l’apaisait tant tout à l’heure malgré le danger qu’on devine important sur sa propre tête autant que sur les plus ou moins blondes mais très chères détenues à ses côtés.
Laisser dériver les idées dans de libres associations aussi loin que possible.

Et quelque chose accroche ; de pas si lointain.

« Vieux monsieur ! C’est le vieux monsieur ! »
Yvon Jezequiel, dans ce fastfood alors qu’une alerte à la bombe, la curiosité, le voyeurisme et les leçons de MonAîné provoquent d’importants mouvements de masses.
A contre-courant de la plupart d’entre eux il attire à lui LePaf, ses deux bras enroulés en lianes rêches autour du seul droit DuPaf.

De leur fugace entretien, LePaf s’aperçoit qu’en sa mémoire Yvon s’était résumé à trois principaux traits.
Rouge de teint, blanc de crin, et toujours ce débit en chute libre où viennent en éboulement un fracas de confessions et d’excuses.

« Je ne pouvais pas rester sans rien faire.
Mon festival, la musique, c’est vital. Pour moi et aussi pour tout ça je veux dire là-bas, chez moi.
Ce qui se joue, c’est plus le loisir ou même l’art. C’est l’air qu’on respire, c’est nous même. Je veux dire tout le monde.
Enfin au moins là-bas.
Pour l’instant…

Mais si tu n’as pas d’argent tu ne peux rien faire.
Alors il faut avoir de la ressource. Chercher ailleurs.
Les subventions on va les chercher tout seul. Avec les dents s’il faut.

C’est mon copain Yahto qui a trouvé un truc.
Une combine à lui mais qui pouvait devenir un vrai gros truc.
Yatho Glaz, c’est un indien.
Un vrai.
Cherokee.
Je l’ai fait venir ici avec son groupe il y a quelque chose comme vingt ans. Oui, je crois que c’est ça, vingt ans.

Euh….

Ah oui.
Yahto pouvait nous faire gagner de la caillasse, plein, vu que je connaissais des gens, enfin, mon frère surtout.

Alors ça commençait à marcher. Les affaires hein.
Enfin les premières.
Des rentrées mais pas de quoi remonter le grand truc.
Celui qui est important avec les musiques, les danses, les décors et puis un discours aussi.
Une pensée.
Quelque chose qui fasse revenir la vie ici, je veux dire là-bas et puis envahir tout ensuite.

Ça, mon frère il était d’accord. Mais c’est le pognon qui est devenu le problème.
Il pensait qu’on pouvait en avoir plus. Beaucoup.
Vital !
C’est lui qui le disait.
A voir la guerre partout, comme lui, l’argent, c’est toujours plus.
Le nerf.
C’est ce qui se dit, j’imagine que c’est vrai.
Mais… La guerre partout ?

Punaise !
La guerre partout !
Vous voyez comment ils pensent, lui et les autres, là ? »


Comme refuge on eut pu trouver mieux, vous l’avouerez.
Parmi le stock de souvenirs à disposition DuPaf, même sans fouiller beaucoup, on aurait facilement pu trouver plus agréable, plus réconfortant.
Mais il s’en contentait au point qu’il s’y serait bien baigné plus longtemps encore si leurs hôtes aux si brutales manières ne s’étaient décidés à descendre à la cave.

Attirés par des pensées communes, sans doute.
Car eux aussi avaient têtes et bouches pleines des Jezequiel, sujet d’une conversation de houle et d’angoisse dont on peut penser que l’épilogue se jouera au sous-sol, là ou la terre est humide, salissante aux vêtements des otages.
Des deux frères bretons, c’est André qui fut le plus cité. André leur camarde de lutte, leur chef pour ainsi-dire, craint et respecté.
Craint, surtout.
Avant tout.
Mais ce n’est pas avec des agneaux qu’on fera couler le sang suffisant pour libérer la Bretagne.
Comme il disait.
André.

Dans toutes les têtes.
Même à quelques méridiens et bien plus de parallèles de là.

Écrasée entre le cuir de la jeep et la chaleur à ce point forte qu’elle devrait se consumer elle-même, ChèreEpouse se retient de soupirer ses agacements devant ce garde du corps vantard, vulgaire, méprisant et brusque qu’on imaginerait sans peine fouetteur compulsif d’esclaves harassés par les travaux de canne à sucre.

mercredi 25 avril 2012

Episode 11 : où deux frères sont partout tandis qu'on s'habille

ChèreEpouse efface la buée étalée sur le miroir de la chambre d’hôtel.
La manche du peignoir agrippée fait l’essuie glace, encore et encore. La netteté n’a pas l’air de vouloir se faire pour l’esprit embrumé de la conférencière globetrotteuse.

Hier le Gabon, aujourd’hui le Ghana que cette mission est longue, que fut long ce bond du « bon » au « na ».

Réveil tardif, pas le temps d’appeler en France ce matin.
Du terrain toute la journée : de réserves naturelles en parcs protégés arpentés à la jeep.
Il ne sera guère possible de se revigorer aux bavardages familiaux – ceux là-même qui, vécus de trop près, usent et fatiguent d’ordinaire – avant demain ou après demain.

Il y a déjà trop de retard pour vérifier mais il semble bien à ChèreEpouse qu’elle avait averti hier de cette absence par mail.
Si si, elle croit bien reconnaitre cette information dans une circonvolution d’un cerveau où le jour ne s’est pas levé encore. D’où une préparation express, toute en automatismes, que ce corps pourtant malmené a su, à force d’impératifs, apprendre à réaliser de manière autonome sans le commandant en chef un poil moins du matin.

Prévoyance faite jolie femme, ChèreEpouse familière de ces mini grasses matinées cérébrales a su penser, la veille, la tenue la plus adaptée aux missions du jour.



Aspect pratique : journée en voiture, probablement sans climatisation avec arrêts fréquents pour une présentation rapprochée des exemples de faune et flore sur lesquels il faudra plancher et débattre et plancher à nouveau durant de longues journées d’ordinateurs, coups de fils urgents et réunions à rallonge.

Donc : tenue légère, souple, absorbante et ne gênant pas les mouvements. Pas trop sombre pour des questions de chaleur et d’ensoleillement.


Aspect social : comme compagnons de promenade, quelques ministres, des représentants de l’ambassade, deux trois pontes d’organismes internationaux ou d’importantes entreprises locales.
Donc : souci d’élégance, vêtements en bon état, chaussures cirées. Pas trop clair pour des questions de résistance aux salissures éventuelles.


Conclusion générale : spartiates de cuir sombre au-dessous d’une robe saharienne couleur kaki, 100% coton parfaitement adaptée aux courbes fines et toniques d’une ChèreEpouse en majesté toute couronnée qu’elle est d’une serviette d’hôtel montée en turban autour des ses cheveux encore gorgés d’eau.

Mais quatre coups puis quatre autres plus vigoureusement frappés sur le côté couloir de la porte.
Se désenturbanner et rejoindre à grand peine au milieu de cette buée qui ne veut pas partir et des débris de la valise éventrée la veille au soir tout en les poussant du pied vers de plus discrets endroits.
Tête tondue façon daim, plus brûlée que hâlée, taillée de rides en ravin. Une voix en ruisseau de rocailles :

« Bonjour, je suis chargé de veiller à votre sécurité durant tous vos déplacements, je m’appelle André, André Jezequiel. »

mercredi 18 avril 2012

2terlude

« Comme ces paysages qui ne se laissent contempler qu’après s’être rayé l’épiderme sur des ronces, esquinté les articulations sur de franches pentes aux cailloux instables, apprécier Yvon Jezequel demande de passer outre un premier abord un peu plus qu’abrupt.
Rebutant à la première rencontre par ses emballements, cette fougue difficilement canalisable qui effraye facilement, peu à peu se dévoile, je vous le garantis, qui nous ramène vers lui et que j’espère, vous découvrirez dans ces pages auxquelles on pourra reprocher des impasses en foison et du parti-pris en excès mais ni le manque d’engagement, ni le côté fabriqué des petits calculateurs.

[…]

Ici, je voudrais revenir sur un bien mauvais procès qui lui a été fait, d’autant plus vicieux qu’il n’est plus en mesure, lui, de se défendre.
Dans sa volonté de tisser des affinités mystérieuses mais décisives entre Amérique et Armorique – volonté qu’on peut discuter mais sans lui faire des procès en sorcellerie sur ses intentions sous jacentes – le reproche lui a plusieurs fois été fait de négliger l’apport africain dans la musique américaine pour la résumer faussement à l’affrontement entre natifs (ou indiens) et colons européens.
Injuste.
C’est vrai qu’il serait ridicule de parler musique américaine sans aborder sa dimension africaine, décisive. Mais, ceux qui lui font ce reproche ne l’ont surtout pas lu ou alors, à charge, traquant les éléments instruisant leur procès, omettant ce qui modifierait leur thèse. »

Extraits de la préface de M. LePaf, journaliste, au livre Armoricana d’Yvon Jezequiel

…………………………………………………….

« C’est vrai que c’est entre l’arrivant volontaire – le colon – et l’autochtone – l’envahi – que s’est jouée la confrontation qui m’intéresse ici car c’est elle qui me parait la plus porteuse de promesses de vie nouvelle pour nous autres extrêmes ouestains du continent. Dans cette confrontation, l’arrivant involontaire – l’Africain – tout important qu’ait pu être son rôle musical, n’aura qu’un rôle mineur dans cette pensée au travail.
Ceci ne veut évidemment pas dire que je minore leur rôle général qui est immense, il paraitrait impossible voire dément de ne pas le reconnaitre.

[…]

Ils ont fait de cette terre qu’ils n’ont pas choisie, un point d’ancrage pour reconquérir le reste du monde. Et dans cette fabuleuses Reconquista, s’entendent encore les échos de telle ou telle facette de la très vaste tradition musicale du continent saigné.

Je pense aux Jalis, ces troubadours, musiciens et chefs du protocole de l’empire Songhaï, à la fois prestigieux et bannis comme hors-castes. Conservateurs et scribes par leur corps, leurs danses et leurs chants, de la culture impériale.
Capacité d’écriture et de conservation par autre chose que l’inscription, ce qui n’aura d’ailleurs pas échappé aux contremaîtres, soucieux d’empêcher ces expressions par trop souvent séditieuses.

Mais aussi, les pulsations des peaux frappées et des clochettes que secouaient avec une fureur ingénieuse les Edos, dans ce qui deviendra l’empire du Bénin.
Les souffles héroïques des trompes d’ivoire des Ashanti, du royaume d’Akan – maintenant, peu ou prou, le Ghana.
Ou encore les pleurs criés sur fond de polyrythmie, marque de fabrique des Yorubas de l’actuel Nigéria et qui font aujourd’hui ce que la soul peut avoir de plus déchirant. »

Extraits d’Armoricana d’Yvon Jezequiel

mercredi 11 avril 2012

Episode 10 : où le mal des transports ne jouera finalement aucun rôle

MaPrincesse boude.
Bras croisés serrés, lèvre inférieure ourlée en un gros pli producteur de ces disgracieux filets venant s’étendre en taches sombres sur son-t-shirt Barbapapa préféré.
MaPrincesse est très vexée.
Œillades, blagues, démonstrations d’enthousiasme n’auront jamais déridé les quatre messieurs de la gare.

Et goujats avec ça.
Lâchant négligemment aux pieds de celui qui tient son grand-frère sur ses genoux une peluche ou son chouchou elle espérait un peu d’attention.
Pas un geste pour le ramasser.
Elle demande, poliment pourtant : un méchant regard de colère et c’est tout.

Même sa bouderie se fait dans l’indifférence ; le pli labial s’accentue encore.
On se demande quelles limites son visage pourra imposer à ces grimaces de dépit.

Elle aurait pu pleurer, crier, réclamer les soins et compliment qu’elle mérite.
Mince, dans MaPrincesse, il y a Princesse, quoi.
Mais un vague instinct en forme de boule lourde et tournante au milieu du ventre, lui suggère que l’idée n’est pas bonne.

Alors autant ne plus parler.
Du tout
Comme plus personne ne parle dans cette voiture, même pas ses frères, et bien ce sera le mortel ennui pour tout le monde et puis tant pis.

Et elle n’est même pas vexée.
Pas du tout.
Elle s’en fiche.
Mais si personne ne veut être drôle, elle ne va pas l’être pour tout le monde non plus.
Il faut être plusieurs.

Déçue par contre ?
Oui, ça c’est possible.
.
Comme dans la gare ils ont montré AuPaf une carte presque comme celle du gros monsieur chauve de l’autre jour - avec des photos différentes, oui, mais la même carte - on pouvait penser que ce serait pareil.
Le gros monsieur chauve, lui, il était gentil.
On pouvait jouer avec lui, rigoler avec lui, l’escalader et même lui donner des petits coups, pas trop fort, dans le ventre comme un coussin.

La carte ne fait donc pas le terrain de jeu et c’est une déception, oui.

Elle se rappelle maintenant que la carte voulait dire que la personne en photo dessus fait partie de la police.
Donc, les messieurs de la gare seraient, eux aussi, de la police.
C’est curieux quand même.
Parce que, la façon dont ils sont installés dans la voiture avec un des messieurs qui tient son grand frère sur les genoux, elle sur ceux de son père et le moyen-frère sur ceux d’un autre monsieur, celui qui n’a plus de cheveux que sur le cou mais long et sales, et bien, et ça elle en est sûre, c’est interdit et puni par… les policiers.

Parfois elle s’amuse de ces choses pas logiques qu’elle découvre de plus en plus.
Aujourd’hui c’est désagréable.
Un peu comme quand ça tangue après un trop gros repas.
Ça bouge beaucoup dans son ventre, décidément.

LePaf a vu sa fille se barbouiller.
Il s’en était fait la réflexion à peu près à l’instant où chaque membre de la famille s’est vu enfiler d’autorité un sac de toile de jute sur la tête.
Depuis, il ressent au creux des côtes un lancement beaucoup plus vif que la douleur occasionnée par le canon du pistolet qu’on y presse.

Sa crainte la plus vive, la plus immédiate, celle qui hante son esprit et se cogne en tournant dans tous les recoins de son crâne est qu’à la faveur d’un virage de trop l’un des enfants se mette à vomir à l’intérieur de son sac.

Ce qui devrait lui occuper l’esprit à l’en faire perdre – la profonde incertitude sur leur sécurité immédiate à tous quatre – s’est dissous dans une préoccupation devenue supérieure : quelle serait la meilleure manière de demander aux ravisseurs, sans qu’ils s’énervent trop, si l’enfant qui annonce son mal de ventre peut soulever la toile de jute au moins jusqu’au niveau du nez pour éviter que son visage baigne dans son propre vomi.

Ruse de la raison qui détourne et renverse les hiérarchies évidentes pour ne pas perdre pieds dans sa tête – comme a un jour déclaré un sportif qu’apprécie beaucoup LePaf.

Arrêt de la voiture ; on retire les sacs, propres.
Le mal des transports n’a pas sévi.

Bref soulagement, puis de nouveau le pistolet qui appuie sur les côtes.
Une ferme au toit d’ardoise dont on ne verra que la cuisine car c’est à la cave qu’on emmène la famille, au milieu d’odeurs de champignons et d’essence.

LePaf aimerait féliciter ses enfants.
Calmes durant toute la traversée, un silence parfait et sans panique.
Mais le souligner serait les inquiéter peut-être…

Une main jette du haut de l’escalier les sacs et valises de la famille.
Plus de téléphone ni d’ordinateur bien sûr, pas de portefeuille non plus mais le reste semble être là.

MonTerrible prend son sac, en sort le manuscrit d’Yvon Jezequiel et le tend à son frère qui attend que le moyen et la petite prennent place d’un côté et l’autre de lui avant d’entamer la lecture.

mercredi 4 avril 2012

Episode 9 : où la musique commercialise les mœurs

MonTerrible ouvre la poche extérieure de la valise familiale, en sort une serviette de toilette blanche rayée de bleu et acre d’avoir été rangée encore humide.
Après l’avoir soigneusement étendue à ses pieds, il farfouille maintenant dans son sac, rempli à en faire souffrir les coutures et lui faisant dans le dos comme un menhir depuis son départ de Bretagne.

Face à lui le une douzaine de vingtenaires.
Garçons pour la plupart, blousons militaires sur queue de pie, hauts-de-forme et - pour la majorité mâle - barbes de trois jours, instruments de musique en bandoulière : une fanfare entre deux concerts.

 MonTerrible expose la marchandise sur le tissu éponge.

« Alors, j’ai des chapeaux en tube, des boutons de manchette avec le drapeau noir et blanc qu’on voit presque à chaque fois qu’il y a de la foule et d’autres drapeaux.
- Le Gwenn ha Du, intervient son frère, derrière son Histoire des codes secrets à deux mains tenue près du nez -
Et puis aussi, plein de porte-clefs presque pas rouillés avec l’image de l’endroit où on achète de l’essence.
Combien vous voulez contre une trompette, une seule trompette ?
Les chapeaux en tube, ça vaut au moins quatre boutons de manchette et dix porte-clefs, c’est comme ça.
C’est pareil que les billes : une Sibérie, ça vaut plus qu’une Araignée et beaucoup plus qu’une bille de terre.
Alors je dirais que la trompette ça vaut trois chapeaux en tube ou douze boutons de manchette, ou… Enfin vous avez compris.
Alors ?
On tope ? »

L’habituelle tenaille du laxisme en excès d’un coté, et de la sévérité déplacée de l’autre, enserre comme trop souvent LePaf.
Farfouillent ses ongles, se tordent ses doigts dans le paprika et sel de son menton.
Indécision et tourments.

Et puis on tranche.
Ce seront les habits d’autorité.
Mettons le holà aux velléités marchandes du garnement.

Un goût prononcé pour l’entrepreneuriat, très bien, voilà le genre de penchant qui s’encourage.
En temps ordinaire.
Moins lorsque pèsent dans la balance le risque de six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende pour vente à la sauvette.
D’autant que les peines sont augmentées quand ladite vente est commise en réunion, se permet fort opportunément de rappeler la mémoire Pafienne.

Transactus interruptus.
Enfin pas tout à fait : d’imprévus ennemis intervenant pour s’opposer à la sévère mais juste décision paternelle.

La fanfare comme un seul homme ivre se dresse, joviale et titubante devant LePaf.
Allez quoi.
Il est rigolo le mioche.

Retour de la tenaille.
Montrer les muscles de son inébranlabilité ?
Il faudrait assumer alors le rôle du rabat-joie et de possibles huées, peut-être même ponctuées de quelques brutalités.
Et ces jeunes gens ont l’air facilement moqueurs, assez costauds dans l’ensemble et surtout fort nombreux.

Entre les oreilles DuPaf se dessine en traits crispés un sourire plein de gêne et d’envie de gagner du temps.
Mais de temps il n’aura pas besoin.
Sur un tempo prestissimo, fanfaronnes et fanfarons défilent devant la serviette de MonTerrible, se servent et déposent en guise de paiement de menus objets sortis de leur sac, de leur banane, ou de leur chapeau pour certains.
Et de repartir en masse, chantant et soufflant dans un hall de gare de nouveau fréquenté depuis le départ des démineurs des policiers et du robot.

A l’entrée du fast-food tout près de la distance permettant l’ouverture automatique des portes, MonTerrible retient ses larmes devant sa serviette en désordre.
Comme arrive vers lui l’homme au balai serpillère, le coupeur de file, le perturbateur de commandes, l’ustensile menaçant enjoignant l’enfant commerçant et sa famille à déguerpir maintenant que plus aucune explosion n’est prévue dans l’immédiat, les larmes sortent.
A gros flots.
Entrecoupés de frémissements de nez, d’inspirations déchirantes et de sanglots si bruyants qu’un temps – oh, bien court, vous pensez – les mastications cessent en un silence étonné.

Ils ont tout pris, sans laisser de trompette.

Comme il est cruel ce panaché de déception et de colère.
Une escroquerie, ni plus ni moins : quelques becs des saxophones usagés, trois baguettes de batterie, un badge avec même pas sa photo dessus et un nez de clown qui sent dedans comme la table du bistrot où il était il ya trois jours avec son père, son grand-frère et sa sœur.

MonAiné se voulant consolant lui raconte une histoire d’indien perdant tout un immense terrain contre des bijoux même pas précieux et des couvertures qui donnent des maladies.
Ça marche un peu.
Il n’a peut-être pas de trompette mais il est comme un indien.
Et puis, il a réussi à conserver ce qu’il avait de plus précieux (le trésor pris dans l’église, le livre du vieux monsieur).

Le drame s’allège à poids menus puis d’un coup s’envole, soufflé par les derniers rebondissements de son, notre, votre histoire :
Alors que LePaf entreprend de trainer ses troupes vers le transport en commun le plus adapté au trajet retour, quatre messieurs l’arrêtent dès ses premiers pas hors de la gare.

mercredi 28 mars 2012

Episode 8 : où beaucoup se cultivent

MonAiné délaisse un instant son Grand livre des codes secrets, écrit par Michel Piquemal, Daniel Royo, et Charles Dutertre, précise-t-il d’ailleurs – à l’intention d’on ne sait trop qui – au moment de faire claquer les pages les unes sur les autres.

Puis, se glissant entre les corps attroupés, parvient à coller son nez sur la vitre pour profiter du spectacle qui se laisse deviner derrières les traces de mains grasses.
Sur ses pieds, MonTerrible, suivi d’UnPaf la tête encore toute à sa conversation avec le vieil Yvon et la main bien serrée sur celle de MaPrincesse.

Un instant silencieux devant le manège des policiers et démineurs. Un grattement de tête qui tient du massage et puis, s’adressant, on le suppose, à son frère, MonAiné débite :

« A chaque fois que quelqu’un trouve un colis suspect c’est çà dire, à chaque fois qu’il y a une valise ou un gros sac ou même un paquet tout seul et qu’on arrive pas à savoir à qui il appartient et bien on prévient la police, ou aussi les pompiers, des fois, je crois, et eux, ils envoient une équipe de démineurs pour vérifier si c’est juste un oubli ou si c’est une bombe qu’il y a à l’intérieur. La police les accompagne toujours bien sûr, d’ailleurs on les voit, là.

Des vraies bombes, il n’y en n’a pas souvent, et même très très rarement mais, quand même, les démineurs de Paris et des alentours – quand je dis alentours, c'est bien entendu les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, 92, 93 et 94 – et bien ils sont appelés cinq à six fois par jour pour des colis suspects trouvés ou des valises oubliées ou des sacs oubliés ou même un gros paquet tout seul. Le plus souvent c’est dans le métro ou les gares comme ici, tiens, et, à chaque fois, ils font exactement la même chose. Comme si le sac, la valise ou le gros paquet pouvait vraiment exploser alors qu'il n’explose presque jamais.

D'abord, il faut évacuer les gens, c'est pour ça que nous, nous sommes tous dans le restaurant, là, alors que le hall de gare est tout vide et qu’on est beaucoup trop serrés ici.
On pourrait sortir par une autre porte mais je crois que les gens, ils sont assez curieux et ils ont peur de rater leur train sans doute aussi.
Enfin, ceux qui en prennent un. Parce qu’il y a aussi ceux qui attendent des gens qui descendent du train et c'est pour ça qu'on est aussi nombreux ici, et très serrés aussi et que presque personne ne mange alors que c'est un restaurant, mais je disais quoi déjà ?

Ah oui.

Les démineurs interviennent toujours par deux. Dans les interventions comme là, maintenant, c'est-à-dire, dans une gare, ils utilisent des petits robots.
Petits et très légers.
C'est-à-dire qu’ils font à peu près 50 kg alors qu’il y en à qui font 250 kg mais il faut plus d’espace qu’il y en a là.
Les robots sont téléguidés, c'est-à-dire qu’on peut les faire bouger de loin, et on peu voir ce qu’ils font aussi, ce qui est plus pratique pour bien les diriger, grâce aux trois caméras qu’ils ont toujours sur eux, les robots.

Trois caméras, c’est parce qu’il y en a deux qui servent juste pour diriger le robot et la troisième sur le bout d’un canon à eau.

Le canon à eau, c’est l’arme du robot contre les bombes ou les objets dont on pense que c’est des bombes alors qu’en fait c’est juste que quelqu’un il l’a oublié là et qu’il va faire une drôle de tête après quand il va voir ce qu’il en restera de son objet oublié.
Oui, parce que, le canon, il envoie vingt centilitres d’eau propulsés à mille deux cent bars, ça veut dire que l’eau elle avance de 300 mètres à chaque seconde et à cette vitesse là, l’eau c’est plus du tout un truc mou où on peut s’enfoncer mais un truc très dur et très violent qui peut, par exemple, percer des portes et des valises et des objets qui contiennent des bombes mais sans faire exploser la bombe qui est à l’intérieur, enfin, si jamais il y en avait une, et c’est super fort ça, vous ne trouvez pas ? »

Une petite dizaine de visages un peu éberlués mais très attentifs opine du chef du côté sans danger de la porte vitrée.

« Et ça, les canons à eau contre les sacs, les valise ou les gros paquet oubliés dont on se demande s’il n’y a pas une bombe à l’inférieur, c’est juste la moitié du temps d’un démineur. Enfin, du temps où il travaille bien sûr parce qu’autrement, sûrement il mange, il dort et lit des livres aussi sans doute mais quand il est au travail et qu’il n’est pas dans des gares ou dans le métro ou dans les endroits où les gens oublient des choses ou de bombes déguisées en sacs, valises, ou gros paquets, et bien il travaille sur des vieilles bombes, c'est-à-dire des bombes dont on est sûr qu’elle en soient, des bombes, et qui datent souvent des vieilles guerres mondiales, celles d’avant : la première et la deuxième.
Ils les démontent très doucement pour pas qu’elles explosent.

Sinon, un démineur, pour son travail, ça doit aussi, quand il y a des gens importants qui viennent quelque part, venir vérifier s’il n’y a rien qui risque d’exploser.
Ah, et aussi il vérifie les gros feux d’artifice pour savoir si on peut les lancer et puis je crois que c’est tout ce qu’ils font, oui, je crois que c’est tout. En tout cas, c’est tout ce que j’ai lu. »


Ce sont maintenant près de cent visages autour de MonAiné qui font le va et vient entre le spectacle et les commentaires.
Et de hocher la tête pour la plupart, et de poser des questions pour certains.
Questions face auxquelles l’enfant savant soupire parfois avant de répondre la voix lasse et les yeux au ciel.
Qu’il est doux pour LePaf de voir qu’il n’est pas le seul à subir ce regard de MonAiné qui vous fait vous sentir à votre place tout au bout de la longue chaine des imbéciles sachant bien sûr que celui de tête est celui qui l’est le moins, imbécile.

Tiens, mais que fait ce métal froid collé à la joue DuPaf ?
Et ne sont-ce pas des odeurs d’alcool à ses naseaux ?
Mais oui, c’est bien le visage DuPaf qu’on voit coincé entre le cuivre d’un tuba basse et l’hilarité semi expressive de son propriétaire aussi aviné que peu discrètement chapeauté.