mercredi 4 avril 2012

Episode 9 : où la musique commercialise les mœurs

MonTerrible ouvre la poche extérieure de la valise familiale, en sort une serviette de toilette blanche rayée de bleu et acre d’avoir été rangée encore humide.
Après l’avoir soigneusement étendue à ses pieds, il farfouille maintenant dans son sac, rempli à en faire souffrir les coutures et lui faisant dans le dos comme un menhir depuis son départ de Bretagne.

Face à lui le une douzaine de vingtenaires.
Garçons pour la plupart, blousons militaires sur queue de pie, hauts-de-forme et - pour la majorité mâle - barbes de trois jours, instruments de musique en bandoulière : une fanfare entre deux concerts.

 MonTerrible expose la marchandise sur le tissu éponge.

« Alors, j’ai des chapeaux en tube, des boutons de manchette avec le drapeau noir et blanc qu’on voit presque à chaque fois qu’il y a de la foule et d’autres drapeaux.
- Le Gwenn ha Du, intervient son frère, derrière son Histoire des codes secrets à deux mains tenue près du nez -
Et puis aussi, plein de porte-clefs presque pas rouillés avec l’image de l’endroit où on achète de l’essence.
Combien vous voulez contre une trompette, une seule trompette ?
Les chapeaux en tube, ça vaut au moins quatre boutons de manchette et dix porte-clefs, c’est comme ça.
C’est pareil que les billes : une Sibérie, ça vaut plus qu’une Araignée et beaucoup plus qu’une bille de terre.
Alors je dirais que la trompette ça vaut trois chapeaux en tube ou douze boutons de manchette, ou… Enfin vous avez compris.
Alors ?
On tope ? »

L’habituelle tenaille du laxisme en excès d’un coté, et de la sévérité déplacée de l’autre, enserre comme trop souvent LePaf.
Farfouillent ses ongles, se tordent ses doigts dans le paprika et sel de son menton.
Indécision et tourments.

Et puis on tranche.
Ce seront les habits d’autorité.
Mettons le holà aux velléités marchandes du garnement.

Un goût prononcé pour l’entrepreneuriat, très bien, voilà le genre de penchant qui s’encourage.
En temps ordinaire.
Moins lorsque pèsent dans la balance le risque de six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende pour vente à la sauvette.
D’autant que les peines sont augmentées quand ladite vente est commise en réunion, se permet fort opportunément de rappeler la mémoire Pafienne.

Transactus interruptus.
Enfin pas tout à fait : d’imprévus ennemis intervenant pour s’opposer à la sévère mais juste décision paternelle.

La fanfare comme un seul homme ivre se dresse, joviale et titubante devant LePaf.
Allez quoi.
Il est rigolo le mioche.

Retour de la tenaille.
Montrer les muscles de son inébranlabilité ?
Il faudrait assumer alors le rôle du rabat-joie et de possibles huées, peut-être même ponctuées de quelques brutalités.
Et ces jeunes gens ont l’air facilement moqueurs, assez costauds dans l’ensemble et surtout fort nombreux.

Entre les oreilles DuPaf se dessine en traits crispés un sourire plein de gêne et d’envie de gagner du temps.
Mais de temps il n’aura pas besoin.
Sur un tempo prestissimo, fanfaronnes et fanfarons défilent devant la serviette de MonTerrible, se servent et déposent en guise de paiement de menus objets sortis de leur sac, de leur banane, ou de leur chapeau pour certains.
Et de repartir en masse, chantant et soufflant dans un hall de gare de nouveau fréquenté depuis le départ des démineurs des policiers et du robot.

A l’entrée du fast-food tout près de la distance permettant l’ouverture automatique des portes, MonTerrible retient ses larmes devant sa serviette en désordre.
Comme arrive vers lui l’homme au balai serpillère, le coupeur de file, le perturbateur de commandes, l’ustensile menaçant enjoignant l’enfant commerçant et sa famille à déguerpir maintenant que plus aucune explosion n’est prévue dans l’immédiat, les larmes sortent.
A gros flots.
Entrecoupés de frémissements de nez, d’inspirations déchirantes et de sanglots si bruyants qu’un temps – oh, bien court, vous pensez – les mastications cessent en un silence étonné.

Ils ont tout pris, sans laisser de trompette.

Comme il est cruel ce panaché de déception et de colère.
Une escroquerie, ni plus ni moins : quelques becs des saxophones usagés, trois baguettes de batterie, un badge avec même pas sa photo dessus et un nez de clown qui sent dedans comme la table du bistrot où il était il ya trois jours avec son père, son grand-frère et sa sœur.

MonAiné se voulant consolant lui raconte une histoire d’indien perdant tout un immense terrain contre des bijoux même pas précieux et des couvertures qui donnent des maladies.
Ça marche un peu.
Il n’a peut-être pas de trompette mais il est comme un indien.
Et puis, il a réussi à conserver ce qu’il avait de plus précieux (le trésor pris dans l’église, le livre du vieux monsieur).

Le drame s’allège à poids menus puis d’un coup s’envole, soufflé par les derniers rebondissements de son, notre, votre histoire :
Alors que LePaf entreprend de trainer ses troupes vers le transport en commun le plus adapté au trajet retour, quatre messieurs l’arrêtent dès ses premiers pas hors de la gare.

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