mercredi 5 décembre 2012

J’aime pas l’école.

La nuit fonce encore les rideaux et MaPrincesse grognonne tandis que LePaf tire ses enfants du sommeil et sur les couettes.

Elle n’aime pas cette école qui la contrarie d’un bout à l’autre de la journée ouvrable.
Dans ses envies de sommeil le matin, dans son désir de jeu quand il faudrait s’habiller vite, dans son exigence d’un dvd le soir.

Elle lui en veut surtout car, avec elle, ont disparu ses privilèges.

Il n’y a pas six mois, c’est d’un œil à demi couvert par l’oreiller qu’elle pouvait observer l’agitation matinale.
La maison et son père pour elle seule, dès les autres partis user les pupitres ou les tapis de souris.
Le temps de badiner, se promener, passer toute une heure en n’ayant enfilé qu’une seule chaussette.
Les bras toujours aimants et disponibles des adultes de la crèche au si peu de contraintes.

D’une si délicieuse époque on ne peut faire le deuil.

Comme ces têtes russes et couronnées qui, tandis qu’on débaptisait Saint-Pétersbourg, s’entassaient en une bonne centaine de mille jusque loin dans Paris, par-delà l’enceinte Philippe Auguste pour certaines, sans le sou pour beaucoup, mais qui jamais, toutes dépossédées qu’elles puissent être,  les derniers bijoux vendus, les mains écorchées par les pieds de lampe faits maison et plus ou moins bien vendus au porte-à-porte, les yeux abîmés par les heures passées en atelier de confection de chapeaux pour dames épargnées par le sort, jamais, donc, ne céderaient un pouce de leurs manières aristocratiques.
Jusqu’à ce que Sainte-Geneviève-des-Bois, dernier abri des Russes blancs au sang bleu, les accueille.

MaPrincesse est de cette trempe
Elle ne saurait abdiquer devant une réalité contrariante et œuvra dès les premiers jours de rentrée pour se reconstituer un ersatz des glorieux jours d’antan.
Repérer celui ou celle des adultes qui cédera le plus aisément à ses moues et charmes de paupières.
Avoir à disposition des refuges de câlins, des aides compatissantes pour manier la fourchette, un amoureux pour tenir manteau, bonnet et doudou le temps d’un toboggan.
Reconstituer dans la faune de l’école cet univers de servantes et dames de compagnies en promenade entre les troncs de bouleaux pâles et diaprés.

A ces conditions  MaPrincesse parvient à reconnaitre quelques qualités à l’école qu’elle n’aime pas, certes, mais à l’exception de sa maitresse, ses copines et ses copains aussi.

Mais il est des jours où les séductions n’opèrent pas, alors les indulgences s’évanouissent, les rancœurs se déchainent.

Je dé-teste l’école.

On lui dit qu’elle exagère.
Elle, nous assure que non.
Elle n’est pas xagère.




mercredi 28 novembre 2012

Roux de pelage abondant et d’une diction suffisamment peu articulée pour qu’un peu de frimas et de mauvaise humeur ne la transforme en grognements.
LePaf est un ours.

Le contact n’est pas le fort de l’ours.

Pas que je n’aime pas les gens, mais les rencontres c’est difficile.
Il y a tout un tas de petits rituels ennuyeux avant de rentrer dans le gras de la conversation à tailler.

Des rituels compliqués.
Sourire trop ou pas assez.
Ne pas rire à la petite blague ou trop fort à ce qui n’en était pas une.
Être trop proche et taper sur l’épaule du père distant aux tempes, costume et cravate gris.
Faire dans l’excès de froideur face à la mère chaleureuse, toute en paroles et facilement tactile.

Pullulent les risques d’impair.
La sociabilisation, art difficile et examen permanent pour UnPaf inhibé par l’enjeu et plus proche du radiateur que des places d’honneur.

 Tandis que devant les  grilles de l’école certains adultes causent, plaisantent, se claquent deux ou quatre bises, LePaf, les mains serrées sur ses enfants, se pose mille question sur quoi faire de sa peau qu’il habille d’un demi sourire crispé.

Comment font-ils pour être aussi à l’aise ?

J’ai pensé un jour faire l’acquisition d’une méthode.
Et peut-être, habitué à ne voir une grande partie de la vie que passée par le filtre du papier imprimé, aurais-je pu faire mes gammes dans le très célèbre ouvrage de Dale Carnegie : Comment se faire des amis, ce best seller plus que septuagénaire, premier d’une série de livres pratiques qui se font de plus en plus d’espace sur les étals des libraires.

Mais j’ai opté pour les cours particuliers.

Trois professeurs m’accompagnent à l’école.
Tirant sur mes bras, hélant tel ou tel, à l’école, sur le trajet, dans les rues, les commerces, ils me forcent à pratiquer ce genre d’échange qu’on appelle discussion plusieurs fois par jour.

Tout cela ne m’a pas transformé  mais, coaché par ma marmaille braillante et à force de pratique je crois que je progresse.

Ses enfants finiront peut-être par faire quelque chose DuPaf.



mercredi 7 novembre 2012

Haussements d’épaule à s’en brutaliser les oreilles, soupirs en long dégonflement : MonAîné ventile ses humeurs noires dans la voiture.

LePaf s’en serait exaspéré dès les premiers kilomètres, mettant en danger passagers et usagers de la départementale.

Heureusement, les choses de la route sont l’affaire de ChèreEpouse.
Mes enfants vous le diraient, la conduite, c’est un truc de filles.
Un peu comme la scie sauteuse, les voyages d’affaire ou le montage de meuble.
Porter des bagues, passer l’aspirateur et faire la cuisine en tablier, voilà des occupations d’homme.

Mais revenons à la grogne.

MesAîné&Terrible reviennent d’une piscine municipale où de dévoués mais rémunérés maitres nageurs ont tenté d’inculquer les rudiments de la brasse académique à des enfants plus portés sur les plongeons en bombe.
La séance fut laborieuse mais ne peut pas être mise en cause dans la rogne de MonAiné.
Les répétitions d’ordres, les « allonge ton corps », « tu as entendu ce que je viens de dire ? », etc. glissent sur lui d’ordinaire et c’est plutôt ceux qui les prononcent qui tendent à devenir chèvre.

L’agacement est venu parce que, du plongeoir au saut de l’ange la conversation des garçons a dérivé jusqu’à ce qu’il soit question de religion.
Et le sujet l’énerve.
Depuis bien longtemps.
Avant même que le Père-Noël ne vienne, par son inexistence, briser les premières illusions enfantines.

Tout ne le dérange pas.
Les Grecs et leurs histoires d’Olympe, de Styx, c’est sur le bout des doigts qu’il les connait et  les récite sans même qu’on ne les lui les réclame.
Généalogie, noms grecs et romains, rien n’est omis dans son flot ; une vraie bête à concours.

Les signes dits ostensibles l’indiffèrent.
Enfant d’un arrondissement où les trois monothéistes s’expriment dans une relative égalité si on en croit les menus de la cantine, il ne voit pas de raison de s’étonner du foulard de la mère d’untel, de la robe du monsieur en sandales ou bien des branches de palmier, saule, myrte et cédrat que nos voisins de quartier tenaient récemment dans leurs bras.

Ce qui l’horripile, c’est le discours.
Qu’on lui présente la hiérarchie Créateur-créés comme aussi réelle que le pied de table sur lequel son père se pulvérise la structure osseuse du petit orteil chaque matin que Dieu, ou je ne sais quoi, fait, le rend fumasse et le remplit d’intolérance agressive.
Cela, pour peu que notre petite famille soit invitée à l’une de ces cérémonies confessionnelles qui rythment la vie de beaucoup, peut devenir fort embarrassant et vous contraindre à bâillonner le moutard pour lui expliquer qu’il est parfois de bon ton de faire dans la rétention d’opinions.

Dans les odeurs de chlore mêlées de relents peu agréables qu’ont laissés sur la banquette arrière quelques maux de transport enfantins mal contrôlés, c’est MonTerrible qui jouait ce jour-là le rôle du prêcheur. Vantant les anges, le paradis, les béatitudes et toutes ces sortes de célestes joyeusetés.

« Débile », « n’importe-quoi », « andouille » lui répond MonTerrible les maxillaires crispés.

MonTerrible ne s’émeut pas des aboiements fraternels.
Avec la vivacité du Parisien voyant une place assise se libérer dans la ligne 12 il enchaine :

Puisque MonFrère ne veut pas de religion, moi, j’ai le droit d’en prendre deux, non ?
Alors, moi, je pense que je suis protestant et catholique.
Protestant parce que je proteste beaucoup.
Et catholique parce que je mange du porc.






mercredi 4 juillet 2012

Episode 20 : où sonne l'heure du sprint final

ChèreÉpouse s’accroche pour se pencher vers l’ouverture latérale de l’hélicoptère.
Elle regarde le grand X s’éloigner, la piste de décollage vite avalée par la masse feuillue de la forêt qui l’encerclait.

Un premier voyage en hélicoptère se déguste, chaque sensation mérite d’être archivée et il s’agit de les multiplier.
Tout voir : le paysage qui change, grossit, rapetisse et tangue, comme le ballet des mains gantées sur le tableau de bord aux voyants qui scintillent.
Être attentive à cette boule qui bouge dans son ventre au rythme des déplacements de l’appareil, au bruit des pales que le casque étouffe.

Et cela n’a rien d’inconvenant car l’issue de ce voyage sera heureuse.
L’officier Delage l’a longuement expliqué tout à l’heure, les mains immobiles sur le dossier posé au centre de la table métallique dans ce bureau austère que seules décorent quelques notes administratives.

Entre le moment de leur départ pour la France cette nuit et maintenant les informations se sont accumulées et convergent.
Tout porte à croire qu’une transaction aura lieu au pied du grand rocher aux singes du parc zoologique.
Le policier se souvient avec précision que ce lieu a été évoqué à plusieurs reprises.
Il est à peu près certain aussi que LePaf et les enfants y seront.
Tous ont été repérés en fin de matinée dans un restaurant sur la route de la capitale.
Plusieurs hommes sont prévenus, déjà sur place, nous arriverons par le ciel pour l’interpellation et un parfait happy end.
Il l’a dit.

Tout se passera pour le mieux.
Tout se passera pour le mieux.

Tout se passera pour le mieux se dit LePaf avant de le répéter à sa petite famille aux nerfs éprouvés par les trop longues heures passées dans la voiture maintenant à l’arrêt sous les arbres d’une forêt municipale.
Erwan, Serge et les autres vont nous présenter à deux messieurs et ce soir on dormira tous à la maison.
C’est presque fini. Voyez, voilà Sergio qui revient nous chercher.

Pour toute confirmation, il n’obtient de leurs geôliers que des bouches tirées en ces sourires, trop larges et trop fixes pour y trouver le réconfort qu’il y voyait encore la veille.

Loïck planque à une cinquantaine de mètres de l’entrée du zoo, derrière laquelle s’élève le grand rocher plein de primates pour la plupart avachis sous la chaleur un peu lourde du début d’après-midi. En bon professionnel, il inspecte les lieux avant l’échange.

Les Clients ne l’étant pas moins, sont présents depuis le matin.
Tous deux vêtus de lin coupé à l’italienne.
Tous deux serrés dans cette tenue légère et ocre, laissant une vaste musculature apparente, cheveux châtains en brosse courte l’un et l’autre, durs et menaçants, interchangeables.
Depuis qu’ils arpentent les lieux les alentours se sont peu à peu remplis de familles en shorts, bermudas et jupes courtes, de notes de musiques, de vendeurs de barbapapa, de fanions publicitaires, messages grésillés sortis de mégaphones, de cris d’enfants et d’animaux.

Ils ont repéré depuis longtemps leurs fournisseurs.
Placés derrière Loïck, ils ne l’ont perdu de vue que lorsqu’une fanfare adepte de la musique répétitive leur a bouché la vue.

Jean-François, dit Jeff, dit Goldblum, dit Gold, premier altiste aux dents gâtées du « Cool as ta rem » est aujourd’hui à la tête d’un ensemble baptisé, quelques heures auparavant, la colonne locrio-éolienne.
Accompagné par dix camarades tour à tour souffleurs et chanteurs il a croisé les autres colonnes, perturbé leurs concurrents durant deux Guantamera, trois Cornichons et un Proud Mary et s’apprête maintenant à rejoindre, sans cesser de jouer, le final quand il pile devant ses camarades et crie :
« Le gamin de la gare ! »

Désorientés et en perte partielle d’équilibre ses collègues de colonne reprennent quand même en cuivres et chants « Le gamin de la gare ».

Non, mais le vrai gamin de la gare, là, avec la famille et trois autre types !

Comme tout le monde s’arrête autour de lui pour se tourner vers la fanfare en approche, MonTerrible s’empare de la pochette en cuir, contenant la formule retranscrite par MonAîné et trop nonchalamment tenue par Erwan.
Dans ses premières foulées, il ordonne à son père de partir avec les autres et court vers l’entrée du zoo.

LePaf pas formalisé pour deux sous par cette brutale inversion des rapports père-fils serre un peu plus ses mains sur celles des deux autres enfants, se précipite dans la direction opposée, et a déjà atteint la route passant devant le zoo quand Serge et Sergio démarrent.

Surgissant de derrière un stand de ballons publicitaires, Client n°1 arrive à leur niveau quand tous trois sont brutalement fauchés par une muraille de vélos lancés à pleine vitesse.

Sur l’autre bord dans le murmure de la foule, les souffles de plus en plus puissants des cuivres et les consternations mégaphonée du speaker, MonTerrible toujours en course. Six pas derrière ses trois poursuivants - Client n°2, Erwann et Loïck un peu en retrait, rouge, et soufflant fort.
Le guichetier, post adolescent menu, frisé et tirant vers le roux, a les yeux qui s’écarquillent et les bras qui l’en tombent quand MonTerrible escalade son réduit, s’y engouffre par la mince ouverture prévue pour les échange de monnaie et s’empare de son stylo de travail, celui tenu par une chaine à son socle, et qui d’ordinaire ne fait que contresigner des chèques.

En quelques savant moulinets c’est devenu une arme, tenant du nunchaku et de la masse d’arme, et dont la partie lestée vient frapper la patte velue d’Erwan juste avant que la pointe vienne diffuser son encre entre les métatarses couverts de crocodile que Client n°2 avaient aventurés dans une entrebâillure.

Leurs cris de douleurs à peine poussés, des hommes en uniformes les ceinturent vigoureusement, ne leur laissant que le temps d’imaginer leur revanche, dont on peut supposer qu’ils la fantasmeront longtemps durant les rêveries qu’occasionnent les promenades en rond dans les maisons d’arrêt.

Alors que toutes les colonnes se sont retrouvées au pied du rocher au singe, que le guichetier a repris son souffle et ses esprits, et que MonTerrible s’est extrait de la cabine de plexiglas, s’approche l’hélicoptère de ChèreEpouse.

Dans ce qui n’était qu’un amas grouillant entre route et forêt, les détails, à mesure qu’elle s’approche, se font plus nets et, dans ses jumelles elle peut voir sans erreur possible, son plus jeune fils danser de toute sa surnaturelle énergie au centre d’une cinquantaine de musiciens qui l’acclament à coups de cuivres et percussions.

Le parfait happy end.

mercredi 27 juin 2012

Episode 19 : ou le pénultième

MonTerrible est chanté sur tous les modes.

(Soient locrien, hypodorien, éolien, hypophrygien, phrygien, dorien, lydien, mixolydien, etc. si j’en crois mes souvenirs de Mme Grissoir, professeure de musique de la 6eC au collège Olivier Sabouraud sis à Charlesfert sur Don en Loire-Inférieure.)

Mais il faut le savoir car toutes les gorges qui, dans zoo et alentours, s’en gargarisent, évoquent le  « Gamin de la gare ».

Un peu de troc et le voilà héros d’une fanfare élargie à un nombre considérable d’anciens, occasionnels et affiliés.
La bonne humeur tellement habituelle qu’elle est presque un pré-requis de ce genre d’ensemble musical ne suffisant pas à expliquer un tel engouement il nous faudra bien sacrifier à un petit retour en arrière.

Pas bien loin, la veille suffira.

Une école d’architecture de la banlieue parisienne.
Trois trombonistes, une joueuse de soubassophone, trois trompettistes, deux altistes, un frappeur de caisse claire, une autre de grosse (caisse),  sont réunis dans une petite salle de classe avec tableau noir à un mur, chaises et tables empilées le long de celui lui faisant face.

Ce sont les « Cool as ta Rem », jeune avatar de l’antique tradition des fanfarons chargés, entre autre, de rythmer de cuivres les heures enivrées d’après charrette pour les étudiants en beaux arts, arts déco ou, ici, architecture.
A cela s’ajoutent quelques contrats, c'est-à-dire des prestations rémunérées afin d’animer tel ou tel événement comme, par exemple, le parcours d’une étape cycliste comme ce sera le cas demain.

Ce qui demande un brin de préparation.

Le répertoire, c’est secondaire.
La petite quinzaine de standards jouée et rejouée, à tous poumons et en toutes circonstances peut se passer d’une dernière répétition.
Ils sont suffisamment biens en bec.

La question des costumes est beaucoup plus sérieuse.
Il y aura d’autres fanfares. Elles joueront sensiblement les mêmes morceaux, à deux trois variations près, et de la même façon, exactement.
Seule l’allure permettra de se démarquer.

Les années 70 avec coupe afro et cols colorés ouverts ?
Un peu usé.
Le style maquereaux en costards blancs et chaussures ultra-pointues ?
Les « Lards des côtes » ne portent plus que ce genre de frusques ces derniers temps.

Vidons nos sacs. Répandons sur les lattes tannées et brunes du parquet toutes nos réserves de vestes, pantalons, chemises, robes, chaussures, foulards,  postiches et accessoires.
Trouvons- là, la formule, l’assortiment qui, entre toutes les fanfares, nous distinguera.

Au milieu du tas de textiles, quelques tubes en acier n’évoquent d’abord rien avant de ramener à l’esprit des messieurs dames présents, le souvenir de MonTerrible.
L’anecdote est racontée plusieurs fois, ornée à chaque fois d’un petit détail supplémentaire et tandis que les rires montent en puissance.
Sur une chaise arrachée à son tas, un pack de 36 bières tièdes déjà vidé de moitié.

On extrait des panamas des premiers tubes, on trouve ça excellent et on le dit avec force.
Plusieurs fois.
Puis du dernier tube tombe, dans la paume de la demoiselle en charge du soubassophone, un sachet plastique à fermeture zippée, rempli d’une poudre jaunâtre, avec comme inscription « Red Sitting Bull, 50 g ».

La réunion vient de se voir rajouter un nouvel ordre du jour.

La nature de la poudre ne fait pas trop débat. La question est : qu’en fait-on ?
Le deuxième trombone – par ordre d’ancienneté dans la fanfare – suggère que le sachet doit être pourvu d’une valeur marchande conséquente dont il serait dommage de ne pas profiter.
La joueuse de soubassophone fait remarquer que le commerce de ce type de substance est un métier dangereux et qui suppose une connaissance approfondie des milieux dans lesquels il se déroule d’ordinaire.
A quoi le frappeur de caisse claire ajoute que la moins risquée des options serait de remettre le sachet à la police avec un récit détaillé des circonstances de sa bien involontaire acquisition.
Un brouhaha aux notes négatives prononcées condamne cette dernière option.
La troisième trompettiste – mais on pourrait dire la trompettiste étant seule de son sexe à manier ici l’instrument – soulève la question de la consommation personnelle et met en avant la valeur de l’expérimentation par les excès – vieille lune chez les jeunes.
Le premier altiste, adepte de la vieille lune, croyance et pratique comme en atteste sa dentition abimée et aux teintes de caramel – se propose en cobaye.

Vingt-six bières vides – à l’exception de mégots pour certaines – s’étalent désormais entres les quatre murs de crépi blanc vieux et sales.

Comme vu à la télé le premier altiste pose un index prudent et humecté au préalable dans le sachet, en  porte le bout, recouvert de poudre, à sa bouche.
Puis grimace et secoue la tête, comme vu à la télé.

Un premier compte-rendu enthousiaste suivit d’une nouvelle prise, incite l’ensemble des fanfarons à jouer de leur index à l’intérieur du plastique.

Bientôt ils enfileront les vêtements posés sur le sol, enlèveront une partie des leurs, feront des échanges puis des superpositions jusqu’à ce que ne trouve plus par terre que des bouteilles partiellement vides – au nombre de trente six – une partie des tubes vides – trois remplissant une cartouchière à la bandoulière de la soubassophoniste, et le sachet ouvert.
(Les sacs et le carton du pack ont été accrochés aux plus hauts pieds du monticule de tables et chaises.)

Dans le même temps, ils appelleront toute une série d’amis : anciens membres pour la plupart, mais aussi ceux d’une fanfare amie, « Le corps du bousier ».
Le discours qu’ils leur tiennent est mal articulé, pas beaucoup plus cohérent mais dit avec assez de joie et de fougue pour convaincre. La seule chose claire est qu’il est impératif d’apporter son instrument.

Les vitres rectangulaires creusées dans un faible espace près du plafond n’envoient plus guère de lumière quand sous elles s’entassent cinquante vingtenaires.
C’est dans cette réunion serrée à ne pouvoir lever le coude, au milieu de ravissements furieux et d’yeux plus que rougis que se conçoit un projet grandiose, en tout cas plus ambitieux que le simple renouveau vestimentaire au départ prévu.

Ils se diviseront en cinq fanfares, réparties un peu partout autour du parc zoologique.
Chacune jouera un thème, le même, mais joué selon des modes différents.
Il faut qu’il soit simple et puisse se mêler aux tubes soufflés par les rivaux.
Le parcours doit permettre à chaque fanfare de croiser toutes les autres avant une réunion générale, finale et apothéotique devant le grand rocher au singe.


L’idée est acclamée dans l’unanimité démonstrative.
Un thème est trouvé, la répétition commence.
Elle durera jusqu’au moment de remplir une dizaine de voiture ainsi que le van blanc rehaussé du violet des lettres formant un « cool as » sur la gauche et « ta rem » sur la droite.
En route pour le zoo.


Ils se trouvent géniaux, se le disent et se le chantent tout en louant sans mesure le « gamin de la gare » - MonTerrible.

mercredi 20 juin 2012

Episode 18 : où une vessie fait lanterner

LePaf se tortille et fait se balancer l’enfant sur ses genoux.
Dans sa tête s’échafaudent les phrases et les intonations qui lui permettront de formuler sa demande sans risquer ni le refus, ni l’acceptation courroucée ni le ridicule.

Les relations ont beau s’être détendues, la hiérarchie n’est pas tout à fait absente.
Un impair peut avoir des conséquences un peu comme dans ces dîners collet monté où peuvent se jouer une promotion ou une intégration réussie. Le genre de contexte qui pousse à l’hésitation.
Mais il n’y a pas ici de temps pour la réflexion.

C’est sa faute aussi.
Il a pensé à y envoyer ses enfants en oubliant son tour.
Alors, bien sûr, il est désolé.
Surtout que nous venons juste de partir, c’est vraiment stupide mais il est impossible de se retenir plus longtemps.
Surtout avec MonAiné qui pèse sur la vessie
C’est qu’il pèse son poids.
Il va sur ses neuf ans et demi aussi.
Je comprendrais très bien que vous m’en vouliez, vous m’en voulez déjà sûrement.

Trois soupirs longuement expirés accompagnent un ralentissement et le virage conduisant à un restaurant routier à large parking et devanture.

A quelques décilitres d’essence de leur planque pavillonnaire, il se trouve que le routier est un endroit où les Sergio & co ont leurs habitudes.
Leurs rituels même.

Leur tendance à l’immuable répétition des gestes remarquée par l’employé du fast-food ne s’observe pas que dans les restaurants de hamburgers mais dans l’ensemble des commerces de bouches ainsi que, plus généralement, dans toutes sortes de lieux, publics ou non.
Des chorégraphies qui se mettent en place spontanément dans les vieux quatuors.

(Oui quatuor car la forme quintet avec le chef est moins souvent réunie, les responsabilités d’André l’amenant à fréquemment parcourir le monde. C’est, en quelque manière, leur ChèreÉpouse à eux.)

Ce sens spectaculaire et quasi gracieux de la routine se fait remarquer.
Alors qu’ils se pensent d’une discrétion professionnelle et sans faille, Erwann et autres ne sont pas loin d’être devenus de petites attractions dans toute une série de lieux entre la capitale et la fin de la terre.

Dans ce routier par exemple, donc.


Dès après avoir aperçu le vert bouteille du break de chasse avancer sur le gravier du parking, Jean-Mi, habitué des lieux au point d’y avoir son rond de serviette et sa marque de coude sur le zinc, flaira la combine.

Jean-Chri son voisin de coude en pleine dégustation d’œuf dur, exerce l’honorable profession qui donne sa raison d’être à l’endroit.
Client très occasionnel, car spécialisé dans le transport paneuropéen, il fera un très beau gogo de circonstance.

-    «  Jean-Chri, mon Jean-Chri.
Qu’est ce que tu dirais d’un petit pari ?


-    Ah,  ben…  – postillons de jaune d’œuf qui viennent se planter en pollen au bout des poils de bras de Jean-Mi – Pourquoi-pas.

-    Alors voilà, j’essaie de deviner à quoi vont ressembler les quatre prochaines personnes et à chaque fois que j’ai bon, tu payes un coup. Et puis, si je me plante, c’est moi qui rince. Simple.

-    Tope ! – verre de blanc jeté droit dans le fond du gosier. La sieste prévue devant faire disparaitre cet impair à la législation – Alors ?


-    Alors je te parie que le premier à rentrer sera un gars comme une armoire, presque chauve avec un  blouson de cuir.


Mais c’est LePaf qui fait tinter la sonnette signalant les nouveaux arrivants.
Suivi de près, collé même par Sergio jusqu’aux toilettes, il offre l’occasion à Jean-Mi perturbé mais pas démonté de se relancer.

Argumentant qu’il n’avait pas vraiment tort en ce que la proximité des deux ne permettait pas bien de dire qui a passé la porte avant qui.

Le Muscadet Sèvre et Maine aidant, Jean-Chri tope pour un quitte ou double.

-    « Le prochain sera un type plus bombonne qu’armoire mais costaud quand-même. Avec des long tous cra-cra sur la nuque et plus rien sur le dessus de la tête. »

Caramba ! Encore raté.
Sans pinaillage possible car c’est le mince Erwan qui accompagne cette fois MaPrincesse angoissée de ne pas voir vite revenir son père au point d’avoir brisé les oreilles et malmené les nerfs de tous les occupants de la voiture, enfants mâles compris.

Plus d’autres passages, Jean-Mi n’aura pas l’occasion de se refaire et cette entorse aux usages aura fait un heureux en la personne de Jean-Chri à ceci près qu’il est contraint à de complexes calculs pour évaluer le temps de sieste supplémentaire dont il aura besoin pour prendre la route.
Mais elle aura aussi été l’occasion de miner le moral de cinq autres.

Cinq.
En plus d’un Jean-Mi surpris par ce bouleversement des lois de l’univers et râleur à la pensée de sa défaite, il y en a quatre qui se demandent si toute cette nouveauté ne tente pas trop le sort.

Pour les rassurer, on pourrait leur dire qu’au Ghana, André n’a fourni aux policiers aucun détail susceptible de les mettre en danger.
Le manque d’information ne fait pas l’affaire de Delage pagayant dans les questions.

Que tirer du peu d’informations dont il dispose ?
Qu’est ce qui aurait pu lui échapper ?
Que dire à ChèreÉpouse alors que la disparition de sa famille semble être un peu plus qu’une hypothèse ?