MonAiné récapitule :
« C’est une maison avec deux étages reliés par un escalier de 38 marches.
En bas : l’entrée avec trois portes :l’une donnant sur une cuisine carrelage bleu ciel, table ronde,fenêtre au bout, une autre sur un salon avec un canapé, une table en verre rectangulaire, et un bureau sous une fenêtre ; et puis deux autres fenêtres aussi.
Mais ça, tu l’as déjà vu.
Derrière la troisième porte : un couloir en moquette bleu foncé. Le mur de gauche est recouvert de boites rectangulaires en plastique gris, portées sur planches et crémaillères. Il a mis des étiquettes sur chaque boite avec des dates et des noms propres même si c’est écrit sans majuscule parce que j’ai reconnu des noms de villes et puis il y des prénoms aussi.
Du coup, c’est tellement petit, je veux dire, tellement peu large, qu’on ne peut y marcher qu’en crabe. En tous cas, c’est ce que j’ai fait et c’est plus pratique.
J’ai vu une porte fermée à clef et une autre ouverte sur un ensemble salle de bain toilettes aux murs griffonnés de phrases. En fait, il fait comme toi, il écrit des phrases sauf qu’il préfère les mettre sur les murs que dans un ordinateur.
L’escalier est au bout. C’est un escalier qui tourne.
En haut c’est fait de trois pièces sans portes. Le parquet, il est noir tellement il est usé,avec plein de livres par terre, en piles plus hautes que les bras levés sur la pointe des pieds.
Des vêtements comme dans un duvet plastique sur quarante-trois cintres.
Et il y a plein de chapeaux sur les murs. Autant que de marches (des petits, des grands, des chapeaux de cowboys, de Dupont(d)s ou d’Américains en noir et blanc). Ils sont tous à la même hauteur. Je sais qu’ils sont sur des clous parce qu’il y en des vides entre deux chapeaux.Huit clous vides.
Encore des phrases écrites sur toutes sortes de papiers (petits carreaux, grand carreaux, sans carreaux) scotchés, d’autres soulignées dans des pages de livres arrachées et recollées en dessous d’un chapeau, au dessus d’une pile.
Certaines phrases se retrouvent deux ou trois fois. Trois fois en haut, ou alors deux fois en haut et une fois dans la salle de bain mais pas l’inverse.
Mais c’est marrant qu’il y ait autant de chapeaux que de marches papa, tu ne trouves pas, papa ? »
Mais LePaf, ne trouve rien, ses oreilles ne sont même pas disponibles car frictionnées par deux mains agitées. Lui aussi, récapitule :
Donc, je sonne. J’entends « entre André ! ». Je ne suis pas André mais j’entre tout de même.
Il me confirme que je ne suis pas André, s’étonne et s’en énerve ainsi que des trois enfants à ma suite ainsi que de ma demi-tonne de bagages.
Plus il peste, plus il s’approche jusqu’à ce que sa cigarette touche presque mon front et perde ses cendre sur mes chaussures que je fixe piteusement depuis quelques secondes.
MonTerrible : « Pourquoi le monsieur il crie »
MonAiné « Parce qu’on n’est pas André. »
C’est la panique dans mes idées. Puis surnage un « Breizh cowboys magazine » dont la prononciation fait aussitôt taire Monsieur Jezequiel. Sans vraiment le détendre.
La colère doit être installée depuis des années dans ces cheveux et barbes blancs, hérissés tout autour de ce qui tient plus de la trogne que du visage.
- Ah oui, c’est vrai. L’interview. Bon, vous voulez quelque chose à boire ?
Il me désigne un tabouret sous la table de la cuisine. Je montre le canapé du salon aux enfants, leur sors quelques livres en les suppliant d’être sages, papa travaille il n’en a pas pour longtemps.
Un verre en pyrex tendu et vidé d’un trait vite grimaçant. Mon sujet d’article carbure donc au tord-boyaux, c’est une demi-surprise.
Pas le temps de faire de mon téléphone portable un dictaphone, son troisième verre jeté dans la bouche, Monsieur Jezequiel se lance dans un chapelet de phrases agglomérées où il est question de subventions supprimées, de trahison de la culture, de la guitare hawaïenne comme pont et fourche entre blues et country, d’un Grand Ole Opry à la française, et du yodel autrichien, lequel clôt brusquement le monologue pour laisser place à une démonstration dudit chant qui finit en toux et crachats et jurons.
Un quatrième verre. Il se lève, secoue un tiroir récalcitrant et en tire un amas de papier aluminium, gros et rond comme une balle de tennis. Écartant avec précaution les coins comme s’il s’agissait d’ouvrir une fleur pas encore éclose, il me demande si je connais l’ibogaïne.
- Non, je ne conn…
Alors j’entends parler du Gabon, de son arbre sacré, le Tabernathe iboga, de la poudre qu’on extrait de ses racines,ses vertus aphrodisiaques – malaise sur ma chaise – son pouvoir de vous faire sortir de votre corps pour vous fondre dans l’air.
Une deux trois quatre cinq cuillères à café de poudre ocre qui vont de la balle d’aluminium ouverte au verre en pyrex encore aux deux tiers plein d’eau de feu.
Verre vidé, silence.
Enfin, on entend MonAiné remplir sa mission de lecteur à voix basse.
Et c’est le retour des cris, des appels à André, mots orduriers et bruits de talons de santiag dans un escalier.
Yvon Jezequiel, chapeauté d’un melon rouge sort de chez lui sans fermer la porte, courant et hurlant.
C’était il y a quatre heures et il n’est pas revenu.
La nuit est là, aucune maison proche, pas de réseau téléphonique dans les environs, et comme écrit la veille sur une page de bloc note, « pas de téléphone ».
Le train de nuit prévu pour le retour est déjà parti, je ne peux prévenir personne et MonAiné m’énumère des descriptions de chapeaux depuis dix minutes.
Je me demande si je ne suis pas en train de pleurer.
j'ai le droit d'être super fan des aventures duPaf ??
RépondreSupprimerAh ba non, faut pas pleurer M'sieur ca va s'arranger
RépondreSupprimerJe devrais pouvoir retenir mes larmes jusqu'à mercredi.
SupprimerFormidable. J'attends la suite avec impatience ! Quelle aventure ; et quel style...
RépondreSupprimer:o)
merci merci.
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