mercredi 11 avril 2012

Episode 10 : où le mal des transports ne jouera finalement aucun rôle

MaPrincesse boude.
Bras croisés serrés, lèvre inférieure ourlée en un gros pli producteur de ces disgracieux filets venant s’étendre en taches sombres sur son-t-shirt Barbapapa préféré.
MaPrincesse est très vexée.
Œillades, blagues, démonstrations d’enthousiasme n’auront jamais déridé les quatre messieurs de la gare.

Et goujats avec ça.
Lâchant négligemment aux pieds de celui qui tient son grand-frère sur ses genoux une peluche ou son chouchou elle espérait un peu d’attention.
Pas un geste pour le ramasser.
Elle demande, poliment pourtant : un méchant regard de colère et c’est tout.

Même sa bouderie se fait dans l’indifférence ; le pli labial s’accentue encore.
On se demande quelles limites son visage pourra imposer à ces grimaces de dépit.

Elle aurait pu pleurer, crier, réclamer les soins et compliment qu’elle mérite.
Mince, dans MaPrincesse, il y a Princesse, quoi.
Mais un vague instinct en forme de boule lourde et tournante au milieu du ventre, lui suggère que l’idée n’est pas bonne.

Alors autant ne plus parler.
Du tout
Comme plus personne ne parle dans cette voiture, même pas ses frères, et bien ce sera le mortel ennui pour tout le monde et puis tant pis.

Et elle n’est même pas vexée.
Pas du tout.
Elle s’en fiche.
Mais si personne ne veut être drôle, elle ne va pas l’être pour tout le monde non plus.
Il faut être plusieurs.

Déçue par contre ?
Oui, ça c’est possible.
.
Comme dans la gare ils ont montré AuPaf une carte presque comme celle du gros monsieur chauve de l’autre jour - avec des photos différentes, oui, mais la même carte - on pouvait penser que ce serait pareil.
Le gros monsieur chauve, lui, il était gentil.
On pouvait jouer avec lui, rigoler avec lui, l’escalader et même lui donner des petits coups, pas trop fort, dans le ventre comme un coussin.

La carte ne fait donc pas le terrain de jeu et c’est une déception, oui.

Elle se rappelle maintenant que la carte voulait dire que la personne en photo dessus fait partie de la police.
Donc, les messieurs de la gare seraient, eux aussi, de la police.
C’est curieux quand même.
Parce que, la façon dont ils sont installés dans la voiture avec un des messieurs qui tient son grand frère sur les genoux, elle sur ceux de son père et le moyen-frère sur ceux d’un autre monsieur, celui qui n’a plus de cheveux que sur le cou mais long et sales, et bien, et ça elle en est sûre, c’est interdit et puni par… les policiers.

Parfois elle s’amuse de ces choses pas logiques qu’elle découvre de plus en plus.
Aujourd’hui c’est désagréable.
Un peu comme quand ça tangue après un trop gros repas.
Ça bouge beaucoup dans son ventre, décidément.

LePaf a vu sa fille se barbouiller.
Il s’en était fait la réflexion à peu près à l’instant où chaque membre de la famille s’est vu enfiler d’autorité un sac de toile de jute sur la tête.
Depuis, il ressent au creux des côtes un lancement beaucoup plus vif que la douleur occasionnée par le canon du pistolet qu’on y presse.

Sa crainte la plus vive, la plus immédiate, celle qui hante son esprit et se cogne en tournant dans tous les recoins de son crâne est qu’à la faveur d’un virage de trop l’un des enfants se mette à vomir à l’intérieur de son sac.

Ce qui devrait lui occuper l’esprit à l’en faire perdre – la profonde incertitude sur leur sécurité immédiate à tous quatre – s’est dissous dans une préoccupation devenue supérieure : quelle serait la meilleure manière de demander aux ravisseurs, sans qu’ils s’énervent trop, si l’enfant qui annonce son mal de ventre peut soulever la toile de jute au moins jusqu’au niveau du nez pour éviter que son visage baigne dans son propre vomi.

Ruse de la raison qui détourne et renverse les hiérarchies évidentes pour ne pas perdre pieds dans sa tête – comme a un jour déclaré un sportif qu’apprécie beaucoup LePaf.

Arrêt de la voiture ; on retire les sacs, propres.
Le mal des transports n’a pas sévi.

Bref soulagement, puis de nouveau le pistolet qui appuie sur les côtes.
Une ferme au toit d’ardoise dont on ne verra que la cuisine car c’est à la cave qu’on emmène la famille, au milieu d’odeurs de champignons et d’essence.

LePaf aimerait féliciter ses enfants.
Calmes durant toute la traversée, un silence parfait et sans panique.
Mais le souligner serait les inquiéter peut-être…

Une main jette du haut de l’escalier les sacs et valises de la famille.
Plus de téléphone ni d’ordinateur bien sûr, pas de portefeuille non plus mais le reste semble être là.

MonTerrible prend son sac, en sort le manuscrit d’Yvon Jezequiel et le tend à son frère qui attend que le moyen et la petite prennent place d’un côté et l’autre de lui avant d’entamer la lecture.

2 commentaires: