mercredi 27 juin 2012

Episode 19 : ou le pénultième

MonTerrible est chanté sur tous les modes.

(Soient locrien, hypodorien, éolien, hypophrygien, phrygien, dorien, lydien, mixolydien, etc. si j’en crois mes souvenirs de Mme Grissoir, professeure de musique de la 6eC au collège Olivier Sabouraud sis à Charlesfert sur Don en Loire-Inférieure.)

Mais il faut le savoir car toutes les gorges qui, dans zoo et alentours, s’en gargarisent, évoquent le  « Gamin de la gare ».

Un peu de troc et le voilà héros d’une fanfare élargie à un nombre considérable d’anciens, occasionnels et affiliés.
La bonne humeur tellement habituelle qu’elle est presque un pré-requis de ce genre d’ensemble musical ne suffisant pas à expliquer un tel engouement il nous faudra bien sacrifier à un petit retour en arrière.

Pas bien loin, la veille suffira.

Une école d’architecture de la banlieue parisienne.
Trois trombonistes, une joueuse de soubassophone, trois trompettistes, deux altistes, un frappeur de caisse claire, une autre de grosse (caisse),  sont réunis dans une petite salle de classe avec tableau noir à un mur, chaises et tables empilées le long de celui lui faisant face.

Ce sont les « Cool as ta Rem », jeune avatar de l’antique tradition des fanfarons chargés, entre autre, de rythmer de cuivres les heures enivrées d’après charrette pour les étudiants en beaux arts, arts déco ou, ici, architecture.
A cela s’ajoutent quelques contrats, c'est-à-dire des prestations rémunérées afin d’animer tel ou tel événement comme, par exemple, le parcours d’une étape cycliste comme ce sera le cas demain.

Ce qui demande un brin de préparation.

Le répertoire, c’est secondaire.
La petite quinzaine de standards jouée et rejouée, à tous poumons et en toutes circonstances peut se passer d’une dernière répétition.
Ils sont suffisamment biens en bec.

La question des costumes est beaucoup plus sérieuse.
Il y aura d’autres fanfares. Elles joueront sensiblement les mêmes morceaux, à deux trois variations près, et de la même façon, exactement.
Seule l’allure permettra de se démarquer.

Les années 70 avec coupe afro et cols colorés ouverts ?
Un peu usé.
Le style maquereaux en costards blancs et chaussures ultra-pointues ?
Les « Lards des côtes » ne portent plus que ce genre de frusques ces derniers temps.

Vidons nos sacs. Répandons sur les lattes tannées et brunes du parquet toutes nos réserves de vestes, pantalons, chemises, robes, chaussures, foulards,  postiches et accessoires.
Trouvons- là, la formule, l’assortiment qui, entre toutes les fanfares, nous distinguera.

Au milieu du tas de textiles, quelques tubes en acier n’évoquent d’abord rien avant de ramener à l’esprit des messieurs dames présents, le souvenir de MonTerrible.
L’anecdote est racontée plusieurs fois, ornée à chaque fois d’un petit détail supplémentaire et tandis que les rires montent en puissance.
Sur une chaise arrachée à son tas, un pack de 36 bières tièdes déjà vidé de moitié.

On extrait des panamas des premiers tubes, on trouve ça excellent et on le dit avec force.
Plusieurs fois.
Puis du dernier tube tombe, dans la paume de la demoiselle en charge du soubassophone, un sachet plastique à fermeture zippée, rempli d’une poudre jaunâtre, avec comme inscription « Red Sitting Bull, 50 g ».

La réunion vient de se voir rajouter un nouvel ordre du jour.

La nature de la poudre ne fait pas trop débat. La question est : qu’en fait-on ?
Le deuxième trombone – par ordre d’ancienneté dans la fanfare – suggère que le sachet doit être pourvu d’une valeur marchande conséquente dont il serait dommage de ne pas profiter.
La joueuse de soubassophone fait remarquer que le commerce de ce type de substance est un métier dangereux et qui suppose une connaissance approfondie des milieux dans lesquels il se déroule d’ordinaire.
A quoi le frappeur de caisse claire ajoute que la moins risquée des options serait de remettre le sachet à la police avec un récit détaillé des circonstances de sa bien involontaire acquisition.
Un brouhaha aux notes négatives prononcées condamne cette dernière option.
La troisième trompettiste – mais on pourrait dire la trompettiste étant seule de son sexe à manier ici l’instrument – soulève la question de la consommation personnelle et met en avant la valeur de l’expérimentation par les excès – vieille lune chez les jeunes.
Le premier altiste, adepte de la vieille lune, croyance et pratique comme en atteste sa dentition abimée et aux teintes de caramel – se propose en cobaye.

Vingt-six bières vides – à l’exception de mégots pour certaines – s’étalent désormais entres les quatre murs de crépi blanc vieux et sales.

Comme vu à la télé le premier altiste pose un index prudent et humecté au préalable dans le sachet, en  porte le bout, recouvert de poudre, à sa bouche.
Puis grimace et secoue la tête, comme vu à la télé.

Un premier compte-rendu enthousiaste suivit d’une nouvelle prise, incite l’ensemble des fanfarons à jouer de leur index à l’intérieur du plastique.

Bientôt ils enfileront les vêtements posés sur le sol, enlèveront une partie des leurs, feront des échanges puis des superpositions jusqu’à ce que ne trouve plus par terre que des bouteilles partiellement vides – au nombre de trente six – une partie des tubes vides – trois remplissant une cartouchière à la bandoulière de la soubassophoniste, et le sachet ouvert.
(Les sacs et le carton du pack ont été accrochés aux plus hauts pieds du monticule de tables et chaises.)

Dans le même temps, ils appelleront toute une série d’amis : anciens membres pour la plupart, mais aussi ceux d’une fanfare amie, « Le corps du bousier ».
Le discours qu’ils leur tiennent est mal articulé, pas beaucoup plus cohérent mais dit avec assez de joie et de fougue pour convaincre. La seule chose claire est qu’il est impératif d’apporter son instrument.

Les vitres rectangulaires creusées dans un faible espace près du plafond n’envoient plus guère de lumière quand sous elles s’entassent cinquante vingtenaires.
C’est dans cette réunion serrée à ne pouvoir lever le coude, au milieu de ravissements furieux et d’yeux plus que rougis que se conçoit un projet grandiose, en tout cas plus ambitieux que le simple renouveau vestimentaire au départ prévu.

Ils se diviseront en cinq fanfares, réparties un peu partout autour du parc zoologique.
Chacune jouera un thème, le même, mais joué selon des modes différents.
Il faut qu’il soit simple et puisse se mêler aux tubes soufflés par les rivaux.
Le parcours doit permettre à chaque fanfare de croiser toutes les autres avant une réunion générale, finale et apothéotique devant le grand rocher au singe.


L’idée est acclamée dans l’unanimité démonstrative.
Un thème est trouvé, la répétition commence.
Elle durera jusqu’au moment de remplir une dizaine de voiture ainsi que le van blanc rehaussé du violet des lettres formant un « cool as » sur la gauche et « ta rem » sur la droite.
En route pour le zoo.


Ils se trouvent géniaux, se le disent et se le chantent tout en louant sans mesure le « gamin de la gare » - MonTerrible.

mercredi 20 juin 2012

Episode 18 : où une vessie fait lanterner

LePaf se tortille et fait se balancer l’enfant sur ses genoux.
Dans sa tête s’échafaudent les phrases et les intonations qui lui permettront de formuler sa demande sans risquer ni le refus, ni l’acceptation courroucée ni le ridicule.

Les relations ont beau s’être détendues, la hiérarchie n’est pas tout à fait absente.
Un impair peut avoir des conséquences un peu comme dans ces dîners collet monté où peuvent se jouer une promotion ou une intégration réussie. Le genre de contexte qui pousse à l’hésitation.
Mais il n’y a pas ici de temps pour la réflexion.

C’est sa faute aussi.
Il a pensé à y envoyer ses enfants en oubliant son tour.
Alors, bien sûr, il est désolé.
Surtout que nous venons juste de partir, c’est vraiment stupide mais il est impossible de se retenir plus longtemps.
Surtout avec MonAiné qui pèse sur la vessie
C’est qu’il pèse son poids.
Il va sur ses neuf ans et demi aussi.
Je comprendrais très bien que vous m’en vouliez, vous m’en voulez déjà sûrement.

Trois soupirs longuement expirés accompagnent un ralentissement et le virage conduisant à un restaurant routier à large parking et devanture.

A quelques décilitres d’essence de leur planque pavillonnaire, il se trouve que le routier est un endroit où les Sergio & co ont leurs habitudes.
Leurs rituels même.

Leur tendance à l’immuable répétition des gestes remarquée par l’employé du fast-food ne s’observe pas que dans les restaurants de hamburgers mais dans l’ensemble des commerces de bouches ainsi que, plus généralement, dans toutes sortes de lieux, publics ou non.
Des chorégraphies qui se mettent en place spontanément dans les vieux quatuors.

(Oui quatuor car la forme quintet avec le chef est moins souvent réunie, les responsabilités d’André l’amenant à fréquemment parcourir le monde. C’est, en quelque manière, leur ChèreÉpouse à eux.)

Ce sens spectaculaire et quasi gracieux de la routine se fait remarquer.
Alors qu’ils se pensent d’une discrétion professionnelle et sans faille, Erwann et autres ne sont pas loin d’être devenus de petites attractions dans toute une série de lieux entre la capitale et la fin de la terre.

Dans ce routier par exemple, donc.


Dès après avoir aperçu le vert bouteille du break de chasse avancer sur le gravier du parking, Jean-Mi, habitué des lieux au point d’y avoir son rond de serviette et sa marque de coude sur le zinc, flaira la combine.

Jean-Chri son voisin de coude en pleine dégustation d’œuf dur, exerce l’honorable profession qui donne sa raison d’être à l’endroit.
Client très occasionnel, car spécialisé dans le transport paneuropéen, il fera un très beau gogo de circonstance.

-    «  Jean-Chri, mon Jean-Chri.
Qu’est ce que tu dirais d’un petit pari ?


-    Ah,  ben…  – postillons de jaune d’œuf qui viennent se planter en pollen au bout des poils de bras de Jean-Mi – Pourquoi-pas.

-    Alors voilà, j’essaie de deviner à quoi vont ressembler les quatre prochaines personnes et à chaque fois que j’ai bon, tu payes un coup. Et puis, si je me plante, c’est moi qui rince. Simple.

-    Tope ! – verre de blanc jeté droit dans le fond du gosier. La sieste prévue devant faire disparaitre cet impair à la législation – Alors ?


-    Alors je te parie que le premier à rentrer sera un gars comme une armoire, presque chauve avec un  blouson de cuir.


Mais c’est LePaf qui fait tinter la sonnette signalant les nouveaux arrivants.
Suivi de près, collé même par Sergio jusqu’aux toilettes, il offre l’occasion à Jean-Mi perturbé mais pas démonté de se relancer.

Argumentant qu’il n’avait pas vraiment tort en ce que la proximité des deux ne permettait pas bien de dire qui a passé la porte avant qui.

Le Muscadet Sèvre et Maine aidant, Jean-Chri tope pour un quitte ou double.

-    « Le prochain sera un type plus bombonne qu’armoire mais costaud quand-même. Avec des long tous cra-cra sur la nuque et plus rien sur le dessus de la tête. »

Caramba ! Encore raté.
Sans pinaillage possible car c’est le mince Erwan qui accompagne cette fois MaPrincesse angoissée de ne pas voir vite revenir son père au point d’avoir brisé les oreilles et malmené les nerfs de tous les occupants de la voiture, enfants mâles compris.

Plus d’autres passages, Jean-Mi n’aura pas l’occasion de se refaire et cette entorse aux usages aura fait un heureux en la personne de Jean-Chri à ceci près qu’il est contraint à de complexes calculs pour évaluer le temps de sieste supplémentaire dont il aura besoin pour prendre la route.
Mais elle aura aussi été l’occasion de miner le moral de cinq autres.

Cinq.
En plus d’un Jean-Mi surpris par ce bouleversement des lois de l’univers et râleur à la pensée de sa défaite, il y en a quatre qui se demandent si toute cette nouveauté ne tente pas trop le sort.

Pour les rassurer, on pourrait leur dire qu’au Ghana, André n’a fourni aux policiers aucun détail susceptible de les mettre en danger.
Le manque d’information ne fait pas l’affaire de Delage pagayant dans les questions.

Que tirer du peu d’informations dont il dispose ?
Qu’est ce qui aurait pu lui échapper ?
Que dire à ChèreÉpouse alors que la disparition de sa famille semble être un peu plus qu’une hypothèse ?

mercredi 13 juin 2012

Episode 17 : où on passe brièvement devant des buissons ardents

MonAîné lève le doigt en l’air.

Alors qu’autour de lui tous se prépare et que, des habits propres donnés par LePaf, il n’a enfilé qu’une chaussette et un polo, encore bloqué, embouchonné au niveau de l’encolure, il se contente d’agiter son bras ponctuellement rehaussé par de petits bonds sur pointes de pieds.

Mais dans cette matinée à l’effervescence proche des trente minutes entre lit et chemin d’école, ça ne suffit pas pour capter l’attention.

LePaf s’y prend à trois fois pour nouer correctement les chaussures de MaPrincesse.
MonTerrible, prêt depuis longtemps transporte les sacs jusqu’au coffre du break de chasse Jensen Healey GT.
Sergio sort enfin des toilettes dans lesquelles il est entré - et sorti - avec son désormais habituel sourire de demi-lune pour vérifier les armes et munitions qui lestent son sac de sport en chanvre bio.
Erwan et Loïck, au su et vu de la collectivité, préparent et emballent de bien plus inoffensifs sandwichs pain de mie – jambon – emmental.
Serge, aujourd’hui de jaune citron vêtu sous son tweed à coudières, fait subir une série de tests et réglages à une balance de cuisine où est précisé qu’elle est interdite pour toutes transactions selon la décision n°76.1.15.626.2.4 du 20 octobre 1976

Trop d’attentions pour en concéder des restes à MonAiné.

Il y a bien LePaf  pour venir vers lui mais c’est moins à l’index dressé qu’au retard dans l’habillage qu’il s’intéresse. Une mauvaise habitude dont la trop grande fréquence l’a fait rentrer dans la liste resserrée des choses susceptibles d’emmener la voix DuPaf jusqu’aux aigues briseuses de verre.

Faire le dos rond, ajouter un slip pour une paix rapide mais précaire avant de relever son doigt avec des « Messieurs » criés comme alliés, qu’il espère décisifs, pour la conquête du public.

Messieurs !
Tout le monde !
J’ai retrouvé la formule de l’indien dont vous avez parlé hier soir au repas.

Silence et immobilité soudaine autour de MonAîné tout heureux de devenir à l’instant le centre des presque toutes les attentions.

Les cinq adultes présents se rapprochent en cercle autour de l’enfant aux deux sous vêtements et tiers de haut.
Sa voix sonne alors comme ces notes de flûtes qui charment enfants, rats, serpents et, il faut le croire, certains adultes, qu’ils soient indépendantistes en armes ou pas.

Il me faudrait un tableau, s’il vous plait.

Demande aussitôt accordée.
Un aussitôt correspondant au temps pour les bretonnants de conciliabuler, et d’envoyer le rond Loïck au garage y chercher le paper board des préparations de plastiquage d’une cossue bicoque d’été de Parisiens et autres braquage d’établissements colons.

Devant l’assistance assise, le cours commence :


« En fait, c’est en relisant Histoire des codes secrets que j’ai compris. Si vous relisez le livre d’Yvon dans les chapitres consacrés à la drogue et à tous ces produits dangereux et interdits même si lui dit, enfin écrit, le contraire, et bien on voit, dans les passages où il a rajouté des choses à la main… »

S’ensuit une longue explication, très technique que, n’ayant pas les mêmes tournures d’esprit que MonAîné non plus que sa connaissance de l’œuvre de Simon Singh il n’est pas dans mes compétences de reproduire avec exactitude.
L’auteur prie ses lecteurs amateurs de ce genre de résolution de l’excuser de ne pas être à la hauteur de leurs attentes.

D’autant que les adultes présents lors de la brillante démonstration décorée de force schémas, équations et formules en langage Mendeleïev arborent des airs enjoués tout illuminés d’étoiles oculaires.

Du côté des possesseurs d’armes, on se dit que ce papier maintenant arraché au tableau amadouera de beaucoup l’humeur facilement agressive des Clients.
On soulage à l’occasion sa conscience : des Clients heureux ne sauraient faire trop de misères aux otages dont ils prendront livraison.

Pour LePaf, le motif de réjouissance est assez semblable même si moins nettement formulé, autocensure de survie oblige.

Après une longue séance d’applaudissements pour un MonAîné répondant par courbettes et rougissements de fierté, les huit ex-colocataires et actuels passagers entassés s’échappent de la série vallonnée de bâtisses semblables blanches aux toits d’ardoises, garages, pelouses et basses haies de pyracantha à baies rouge, créant l’unique et fugace mouvement parmi les maisons clones endormies qui l’oublieront bien vite.

mercredi 6 juin 2012

Episode 16 : où il est dur d'être dur

MaPrincesse se réveille rouge et chiffonnée, bouche sèche et visage gravé des coutures du bermuda de MonAîné.

Mauvais départ.
Il était donc heureux que le spectacle qui se dessine devant ses yeux à peine dessillés soit assez burlesque pour que ces premières minutes grincheuses s’effacent derrière le fracas de rires en éclats.

Descendus en fanfarons, virilité inébranlable en bandoulière et épaules qui roulent au rythme des marches descendues, la bande des quatre s’est trouvée toute penaude quelques pas plus tard, quand il s’est agi de parler aux otages.

Un enlèvement, finalement ce n’est pas si dur.
Une décision vite prise, un minimum d’organisation et l’émulation pour doper la détermination et le chemin de la gare à cette cave sarthoise n’était pas si lointain.

Avoir le droit de vie, de mort et toutes choses intermédiaires plus ou moins agréables sur ses enlevés, c’est autrement moins léger.

Les longs débats ne furent pas simples mais la confrontation monte d’un cran l’échelle des complications.
Quelles étaient nos résolutions déjà ?

Sergio en avant cache vaguement les autres derrière lui, notamment Loïck qui déborde de chaque côté du cadre fait par les trois corps en triangle devant

Le temps de se faire un visage ferme et, de trois fortes inspirations, Sergio a déjà pris le parti de se placer en queue de peloton, laissant Erwan et Serge se regarder avant de chercher à se placer l’un derrière l’autre dans un mouvement de sprint groupé inversé.

Un mètre, deux, trois déjà de recul devant un quatuor de spectateurs pris dans le suspens de la drôle de course, à la fois attentifs aux efforts des compétiteurs comme aux difficultés du parcours
Comme cette large poutre, invisible aux sportifs alors que sa taille et sa positions mettront dans un instant un terme à la course. 

Et le perdant fut Serge.
(Ou, pour LePaf et fils, le moustachu, réduit à Moustache par MaPrincesse, précoce amatrice de synecdoques.)

Raclements de gorge, époussetage du tweed à gros chevron couvert ça et là par la poussière de cave remuée par tous ces efforts et long grattage des pièces aux coudes, le temps de réunir un peu de contenance.

Enfin, le courageux soldat, sous-chef d’une équipe dont le nom seul fait se secouer de frousse tous les bretonnants tièdes à l’ouest de la Sèvre Nantaise, consent à prendre la parole devant trois enfants rieurs et leur père qui, malgré le récent spectacle, ne serait pas contre le soutien d’une cellule d’assistance psychologique là maintenant tout de suite.

« Mes chers enfants,
Monsieur,
Je me mets à votre place, vous devez vous demander ce que vous faites là.
Disons que nous avons perdu quelque chose de très important et, je suis désolé pour vous, mais vous êtes ce qui nous a semblé, comment dirais-je, le plus susceptible de le remplacer.

Enfin pas vraiment.

Disons plutôt que, dans notre lutte à laquelle je suis sûr vous êtes sensibles, il y a des besoins, financiers par exemple, qui nous obligent à faire des choses qui ne nous plaisent pas vraiment mais, quand la cause est juste, hein ?
Enfin, vous voyez ce que je veux dire.

Voilà…

Bon, et sinon, Yvon, il vous a dit quoi ?
Il vous a parlé de nous ?
Il a ?...
Il aurait laissé des objets qu’il aurait fallu remettre à des gens, comme nous ?

Non ?...
Non, c’est bien ça.

Alors voilà ce qu’on va faire.
Pour l’instant, vous allez rester ici et on partira demain matin.
Tous ensembles.
Non, vous ne pouvez pas partir maintenant, désolé, je sais bien que c’est embêtant, mais vous savez, la cause… Enfin vous comprenez, quoi.

Donc demain, on va voir des gens qui s’occuperont de vous.
Je veux dire… Ne vous inquiétez pas je suis certain que tout va bien se passer, ce sont des gens… Des gens… Des gens d’honneurs.
C’est ça, d’honneur.
C’est très important pour eux.
Alors il ne faut pas s’inquiéter, ça ne sert à rien.

Et donc… et bien…
À plus tard. »

Départ groupé et têtes basses se relevant brusquement par instant pour adresser des sourires un peu trop larges à la famille de détenus jusqu’à atteindre la porte de la cave.
Derrière celle-ci, aussi délicatement refermée que si les otages avaient été des nourrissons endormis, s’entendent aussitôt chuchotements, soupir, claquement sourds de paumes sur le front.
Eventail peu sonore des disputes feutrées.

Silence en haut.
On ouvre à nouveau.

On envoie Erwan en délégation, surveillée de plus haut par trois têtes penchées et tout aussi fixement souriantes que lors de la montée.

Erwan croise, décroise ses bras devant, derrière, avec les claquements des larges manches de sa veste chinoise.

« Alors voilà.
Je crois que vous n’avez pas mangé depuis longtemps.
Il se trouve que nous non plus.
Donc, si voulez monter, on va dîner.
Et puis pensez à prendre quelques affaires propres, je crois qu’il en reste dans vos sacs.
On comptait lancer une machine de toutes manières.
Il y a ici un lave-linge séchant.
Ah et aussi, avant de monter, voici. »

Là descendent de bras en bras en une chaine bretonne matelas pneumatiques roulés en boule, minces matelas de gymnastiques, duvets en tissus à motifs écossais et couvertures orange et marron, hérissées de peluches et de poussières qui, toute délicate que soit l’attention, risquent de ne pas faciliter l’élimination des rougeurs présentes en nombre dans les yeux de MaPrincesse depuis son réveil.