mercredi 29 février 2012

Episode 5 : où on n'y comprend plus grand chose pendant que se racontent les vacances du petit MonTerrible

MonTerrible est aux anges.
Des vacances terribles, donc les meilleures de sa vie.

On a croisé des gens drôlement rigolos comme le vieux monsieur tout rouge qui crie tout le temps, boit tout le temps et court partout aussi. Comme dans les vieux dessins animés que Papa veut qu’on regarde avec la bête marron qui casse tout, grogne au lieux de parler et transforme ses jambes en tornade pour aller plus vite.
Et puis il y a eu le gros monsieur aussi.
Un policier, un vrai, avec un pistolet et tout mais je l’ai quand même battu à la boxe et après il nous a fait jouer à cache-cache en haut.

On a fait comme une cabane de livres – c’est mon frère qui a eu l’idée - pendant que le gros monsieur policier sans cheveux jouait à se disputer avec des amis qui avaient frappé tellement fort à la porte que papa en a fait des super hauts sursauts. Même qu’il tremblait et transpirait encore dans la cabane de livres, ça a mouillé un peu mon sweat parce qu’il nous serrait très fort.

En plus, on peut faire presque tout ce qu’on veut.
Papa il ne dit jamais non en criant très fort et en tapant par terre avec son pied comme souvent il fait quand on a des supères idées.
Par exemple, on a eu le droit de fabriquer une tente sur le canapé pour dormir, et puis aussi, on pouvait manger tout ce qu’on voulait dans les réserves du vieux monsieur qui crie et qui court.

Depuis qu’on est sorti de la cabane en livres il nous laisse faire encore plus de trucs.
C’est peut-être parce qu’on a gagné au cache-cache.
D’après ce qu’il dit souvent, il n’a pas l’habitude de gagner. Même que ça fait soupirer maman quand il dit ça.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’il pense encore à la partie parceque je l’ai vu trembler plusieurs fois alors que c’est hier qu’on a gagné.

Nous faisions très attention à ne pas faire de bruit entre les murs de livres.
En bas, le policier chauve et ses amis, ils parlaient fort, surtout d’un monsieur qui s’appelle Roger et qui a plein de singes et qui est gros, c’est peut-être qu’il est policier aussi.
Souvent ils claquaientleur main fort sur la table comme papa quand, avec mon frère et ma sœur, on va quand même jusqu’au bout de nos supères idées.
Ils ne nous ont pas trouvés mais je ne crois pas qu’ils aient vraiment cherché aussi.Ils sont sortis au bout d’un moment sans même être montés jusqu’à l’étage.
Nous on est restés longtemps après sans bouger.Je crois que papa, il vouloir êtrevraiment sûr de gagner vu qu’il n’a pas l’habitude.
Mais jamais ils nous auraient trouvés. Notre cachette était trop parfaite.

Et quand je disais qu’il nous laissait faire plein de trucs que souvent on n’a pas le droit de faire du tout parce que c’est n’importe quoi, et puis des bêtises aussi et qu’on ne se rend pas compte et quand est-ce qu’on se rendra compte et bien ce matin, après la deuxième nuit dans la cabane canapé, quand papa a dit qu’on allait repartir j’ai pu prendre plein d’affaires de la maison qui me plaisaient pour les mettre dans la valise.
Il n’a même pas crié.
Il me regardait mais sa bouche ouverte elle n’avait pas de parole pour dire si c’est bien ou si ce n’est pas bien.
Alors j’ai prisune jolie bouteille, des tubes parterre à côté des chapeaux et des livres - mon frère m’adit que c’étaient des chapeaux en tube- un grand bloc de papier comme une espèce de livre mais avec une sorte de tuyau en plastique pour tenir des pages en feuilles d’ordinateur qu’on achète en grosses briques dans les magasins.

Après on a fait une grande promenade.
Je n’aime pas trop les promenades mais là, c’était bien, surtout parcequ’il a plu très vite et que c’était vrai même si papa n’arrêtait pas dire que ça ne l’était pas, vrai, et que ce n’était pas possible, comme s’il n’avait jamais vu de pluie.

On a vu une vieille église en pierres grises, très basse et qui avait l’air presque enterrée entre deux toutes petites collines vertes à l’herbe ultra courte.
On a poussé la porte, on demandé plein de fois s’il y avait quelqu’un mais il n’y avait personne. Comme la pluie est devenue de plus en plus forte et qu’elle ne s’est jamais arrêtée, on est restés toute la journée dans l’église à faire des cabanes avec les bancs ou à crier pour faire plein d’échos pendant que papa, il regardait son téléphone en soupirant et en se promenant un peu partout en essayant de le mettre le plus haut possible.
Mais il n’a pas voulu que je l’aide avec ma montagne de bancs sur laquelle il aurait pu grimper et mettre son téléphone drôlement haut un peu comme la statue de la liberté dont les adultes n’arrêtent pas de nous dire que c’est desFrançais qui l’ontconstruiteet puis l’un d’eux a fait la TourEiffel qui est plus grande de toute façon.

On s’est ennuyé un peu aussi mais on a fait les repas avec les bonbons et gâteaux pris dans la maison du vieux tout rouge.
Et on n’a même pas été obligé de se laver depuis qu’on est partis.
C’est juréla prochaine fois que papa travaille en dehors de la maison, je l’accompagne encore.

mercredi 22 février 2012

Episode 4 : où il est beaucoup question des différents états verticaux de l'inquiétude.

ChèreÉpouse dérivant quelque peu de sa nature se met à ressentir quelque chose comme de l’inquiétude.
Depuis le téléguidage de la veille : point de compte-rendu DuPaf, point de nouvelles des enfants, pas de quoi féliciter le travail bien fait, pas d’occasion de le réprimander pour cette demande de défraiement qui n’aura, à coup sûr, pas avancé.

Mais l’inquiétude est un luxe que ChèreEpouse ne peut en ce moment pas se permettre trop longtemps.
Déjà un ensemble de mines fatiguées sur cravates fripées mais chaussures brillantes vient sonner l’heure d’une autre de ces interminables réunions de négociations face aux émissaires officiels gabonais aussi  tirés, fripés et brillants.

Et puis, c’est plus un truc DuPaf, l’inquiétude. Pratiquant assidu et enthousiaste depuis plusieurs années, c’est comme s’il s’était préparé tout ce temps pour ces instants de panique qui, sur fond d’intranquillité constante, l’ont assailli par à-coups ces dernières vingt-quatre heures.

En cette heure matinale mais pas trop, à quelques cinq mille trois cent kilomètres des séries de réunions franco-gabonaises, nous trouvons LePaf dans un état de stress assez bas.
Les enfants ont exprimé par des  sauts répétés leur plaisir de dormir en famille entière dans le canapé déplié.
Allant même jusqu’à, alors que LePaf refusait de sortir d’un sommeil sécurisant, suspendre sur deux balais coincés entre les ressorts et les accoudoirs de la literie d’appoint une couverture dont l’acrylique dut être un jour orange. Ainsi, selon les deux garçons, le décor de leur nuit s’assortissait davantage aux folles aventures dont ils ne se lassaient pas depuis le départ précipité pour Montparnasse.
Placards et frigo recelaient de quoi improviser deux repas (nocturne puis matinal) acceptables par toute la portée, exploit en soi considérable, quelles que soient les conditions.
Un petit répit propre à faire baisser le niveau d’inquiétude, remontant dès qu’il s’agit de réfléchir cinq minutes à la situation, proche des zones de tremblement au bruit de la sonnerie et au-delà des plafonds jusque là atteints quand le bruit suivant est celui de la porte qui s’ouvre sans attendre et que, de la cuisine, dépasse du chambranle ce qui ressemble fort à un canon de pistolet.







Monsieur LePaf, tout va bien ?
C’est la police dit une voix à l’autre bout du canon et dont le possesseur est maintenant suffisamment avancé pour qu’on puisse apercevoir le ventre proéminent cintré dans une chemisette Hawaïenne.
-    Le gros monsieur, le gros monsieur !
Devant le petit doigt tendu qui lui fait face le gros monsieur au crâne poli baisse son arme, se tourne vers LePaf et tend une main que celui-ci aurait bien serrée s’il trouvait la force de baisser ses bras levés en signe de soumission à l’Autorité.

Alors, pour détendre un peu toutes ces crispations visibles, notre Kojak replet et coloré s’installe sur un tabouret à côté DuPaf toujours mains en l’air et lui explique d’une voix qu’il voudrait douce et très éloignée des « circulez ! » aboyés, qu’il est depuis une semaine chargé de surveiller LePaf dans le cadre d’une enquête de routine liée à l’entourage de personnes amenées à exercer des missions sensibles à proximité de ministres, diplomates, etc.
Enquête qui a quitté la voie banale quand on apprit que LePaf devait rencontrer un usager de stupéfiants notoire, adepte de la contestation politique volontiers scandaleuse et qui plus est soupçonné de trafics en tous genres, notamment de produits en provenance du Gabon où se déroule précisément la mission actuelle de ChèreÉpouse.
D’où sa présence ici et l’inquiétude de ne pas avoir vu sortir LePaf depuis le départ soudain du vieil Yvon ébouriffé et rouge du chef à ce qui le couvre.

Avec ses bras maintenant souplement posés sur la nappe, sale mais cirée, de la table de cuisine, Lepaf se laisse aller à un léger sourire attendri devant MonTerrible qui défie de quelques mouvements de boxe l’officier Gédalge – il s’est présenté en cours d’explications – tandis que Maprincesse, installée sur les genoux à bourrelets de la maréchaussée, commente les multiples fruits  exotiques ornant la chemisette jaune canari.
Cette toile de fond, douce, amicale, LePaf s’y love moelleusement avant qu’elle ne devienne le support de rebonds en saltos d’une inquiétude à nouveau très haut perchée : plusieurs coups de poings sont frappés à la porte sur laquelle, décidément, le sort s’acharne.

mercredi 15 février 2012

Episode 3 : où LePaf se dit qu'être André aurait rendu les choses plus simples.

MonAiné récapitule :

« C’est une maison avec deux étages reliés par un escalier de 38 marches.
En bas : l’entrée avec trois portes :l’une donnant sur une cuisine carrelage bleu ciel, table ronde,fenêtre au bout, une autre sur un salon avec un canapé, une table en verre rectangulaire, et un bureau sous une fenêtre ; et puis deux autres fenêtres aussi.
Mais ça, tu l’as déjà vu.
Derrière la troisième porte : un couloir en moquette bleu foncé. Le mur de gauche est recouvert de boites rectangulaires en plastique gris, portées sur planches et crémaillères. Il a mis des étiquettes sur chaque boite avec des dates et des noms propres même si c’est écrit sans majuscule parce que j’ai reconnu des noms de villes et puis il y des prénoms aussi.
Du coup, c’est tellement petit, je veux dire, tellement peu large, qu’on ne peut y marcher qu’en crabe. En tous cas, c’est ce que j’ai fait et c’est plus pratique.
J’ai vu une porte fermée à clef et une autre ouverte sur un ensemble salle de bain toilettes aux murs griffonnés de phrases. En fait, il fait comme toi, il écrit des phrases sauf qu’il préfère les mettre sur les murs que dans un ordinateur.
L’escalier est au bout. C’est un escalier qui tourne.
En haut c’est fait de trois pièces sans portes. Le parquet, il est noir tellement il est usé,avec plein de livres par terre, en piles plus hautes que les bras levés sur la pointe des pieds.
Des vêtements comme dans un duvet plastique sur quarante-trois cintres.
Et il y a plein de chapeaux sur les murs. Autant que de marches (des petits, des grands, des chapeaux de cowboys, de Dupont(d)s ou d’Américains en noir et blanc). Ils sont tous à la même hauteur. Je sais qu’ils sont sur des clous parce qu’il y en des vides entre deux chapeaux.Huit clous vides. 
Encore des phrases écrites sur toutes sortes de papiers (petits carreaux, grand carreaux, sans carreaux) scotchés, d’autres soulignées dans des pages de livres arrachées et recollées en dessous d’un chapeau, au dessus d’une pile.
Certaines phrases se retrouvent deux ou trois fois. Trois fois en haut, ou alors deux fois en haut et une fois dans la salle de bain mais pas l’inverse.
Mais c’est marrant qu’il y ait autant de chapeaux que de marches papa, tu ne trouves pas, papa ? »

Mais LePaf, ne trouve rien, ses oreilles ne sont même pas disponibles car frictionnées par deux mains agitées. Lui aussi, récapitule :

Donc, je sonne. J’entends « entre André ! ». Je ne suis pas André mais j’entre tout de même.
Il me confirme que je ne suis pas André, s’étonne et s’en énerve ainsi que des trois enfants à ma suite ainsi que de ma demi-tonne de bagages.
Plus il peste, plus il s’approche jusqu’à ce que sa cigarette touche presque mon front et perde ses cendre sur mes chaussures que je fixe piteusement depuis quelques secondes.
MonTerrible : « Pourquoi le monsieur il crie »
MonAiné « Parce qu’on n’est pas André. »
C’est la panique dans mes idées. Puis surnage un « Breizh cowboys magazine » dont la prononciation fait aussitôt taire Monsieur Jezequiel. Sans vraiment le détendre.
La colère doit être installée depuis des années dans ces cheveux et barbes blancs, hérissés tout autour de ce qui tient plus de la trogne que du visage.

-    Ah oui, c’est vrai. L’interview. Bon, vous voulez quelque chose à boire ?

Il me désigne un tabouret sous la table de la cuisine. Je montre le canapé du salon aux enfants, leur sors quelques livres en les suppliant d’être sages, papa travaille il n’en a pas pour longtemps.

Un verre en pyrex tendu et vidé d’un trait vite grimaçant. Mon sujet d’article carbure donc au tord-boyaux, c’est une demi-surprise.
Pas le temps de faire de mon téléphone portable un dictaphone, son troisième verre jeté dans la bouche, Monsieur Jezequiel se lance dans un chapelet de phrases agglomérées où il est question de subventions supprimées, de trahison de la culture, de la guitare hawaïenne comme pont et fourche entre blues et country, d’un Grand Ole Opry à la française, et du yodel autrichien, lequel clôt brusquement le monologue pour laisser place à une démonstration dudit chant qui finit en toux et crachats et jurons.
Un quatrième verre. Il se lève, secoue un tiroir récalcitrant et en tire un amas de papier aluminium, gros et rond comme une balle de tennis. Écartant avec précaution les coins comme s’il s’agissait d’ouvrir une fleur pas encore éclose, il me demande si je connais l’ibogaïne.
-    Non, je ne conn…
Alors j’entends parler du Gabon, de son arbre sacré, le Tabernathe iboga, de la poudre qu’on extrait de ses racines,ses vertus aphrodisiaques – malaise sur ma chaise – son pouvoir de vous faire sortir de votre corps pour vous fondre dans l’air.
Une deux trois quatre cinq cuillères à café de poudre ocre qui vont de la balle d’aluminium ouverte au verre en pyrex encore aux deux tiers plein d’eau de feu.
Verre vidé, silence.
Enfin, on entend MonAiné remplir sa mission de lecteur à voix basse.
Et c’est le retour des cris, des appels à André, mots orduriers et bruits de talons de santiag dans un escalier.
Yvon Jezequiel, chapeauté d’un melon rouge sort de chez lui sans fermer la porte, courant et hurlant.
C’était il y a quatre heures et il n’est pas revenu.

La nuit est là, aucune maison proche, pas de réseau téléphonique dans les environs, et comme écrit la veille sur une page de bloc note, « pas de téléphone ».
Le train de nuit prévu pour le retour est déjà parti, je ne peux prévenir personne et MonAiné m’énumère des descriptions de chapeaux depuis dix minutes.
Je me demande si je ne suis pas en train de pleurer.

mercredi 8 février 2012

Episode 2 : où il est question du Far-West, de l'Everest et de tartines beurrées

MaPrincesse se hausse tant qu’elle peut.L’index pointé entre deux appuie-têtes de sa place carré TGV,elle chantonne : «  Le Gros monsieur, Le gros monsieur »

Mais LePaf ne peut y prêter attention, tout occupé qu’il est à courir du fauteuil 76 où MonAiné explique à un monsieur tout ridé que, déplié, son visage pourrai s’étendre à l’infini tant il a de plis dans ses plis et le fauteuil 14, où MonTerrible propose à un militaire en tenue semi-civile de se disputer les faveurs d’une demoiselle à la majorité imminente ou récente sur une course à cloche pied jusqu’au wagon cafétéria.
Exercice de diplomatie ne laissant pas de temps pour l’étude attentive et professionnelle du dernier numéro de Breizh cowboys magazine acheté en même temps qu’un vaste échantillon de journaux plus côtés qu’un tenace vouloir plaire a amené LePafa présenter au caissier du relai presse de la gare Montparnasse.

S’ensuivent :
Une tournée de bras de fer,un débat sur l’incapacité des gens en trois dimension à se cacher aussi efficacement que les habitants d’un monde réduit à deux, une contrariété très bruyamment exprimée à propos de l’ordre dans lequel il aurait fallu distribuer les sandwichs, le tout assaisonné d’une grosse poignée de conseils peu amènes quant à la meilleure façon d’éduquer ses enfants.

Ingrédients en doses suffisantes pour que les autres « gros monsieur » passent autant inaperçus qu’est devenu gros le soulagement DuPaf arrivé posant enfants et bagages sur le dernier quai du parcours.

Au-dessus de sa pancarte en carton crayonnée du nom DuPaf, le chauffeur de taxi, sans doute soucieux de ne pas trop dépayser le Parisien en exil, arbore ce qui se fait de plus taciturne en matière de gueule.
Du moins, le croyait-on car il réussit à s’assombrir encore en apercevant la tribu de son client.

-    Pas de fauteuil enfant !
-    Pardonnez-moi ?
-    Pas de fauteuil enfant ! Pas le droit de prendre d’enfants sans fauteuils enfants. Et j’ai pas de fauteuils enfants !

Dans le brouet de grognements émerge une plainte sur la course perdue. Une portière qui claque, le moteur qui s’éloigne et le vide qui saute aux yeux DuPaf.

La gare, grand abris-bus en béton armé peint en jaune pâle et vieux, ne contient que des volets de fers descendus sur des guichets.
D’un côté les voies de chemin de fer, de l’autre un rond de gravier de taille à laisser les taxis et autres véhicules faire demi-tour avant de prendre l’une ou l’autre direction de la route qui part en longues lignes droites de part et d’autre DuPaf désespéré.

On s’attendrait à voir passer devant lui des boules de ronces ballotées dans un air d’harmonica mais il n’y a que des sacs plastiques, poursuivis par trois enfants braillards dans un vent qu’alimente le soulagement DuPaf maintenant tout dégonflé, misérable et pendouillant.


Ne pouvant même plus se demander « que faire »LePaf fait ce qu’il fait toujours fait dans ces cas-là.
Il appelle ChèreEpouse
Perché sur une borne kilométrique voisine, seul endroit du périmètre où une petite barre de connexion apparait sur son portable :


Loin, très loin, passée la barre de l’équateur, ChèreEpouse, s’est absentée d’une grande table ovale entourée de messieurs portant cravate et cernes de nuits blanche. D’une main elle pianote sur un ordinateur, délivrant l’itinéraire de sortie de crise au Paf qui mémorise comme il peut, le trajet jusqu’au bistrot le plus proche.
Puis harnaché, trainant de ses deux mains valise à roulette et sacs en bandoulière, cabas et portée d’enfants, il se voit en sherpa derrière George Mallory à la conquête de l’Everest en juin 1924, poussant en héros, une demi-heure après l’ascension de la borne, la porte d’un bistrot que le décret no 2006-1386 du 15 novembre 2006 relatif à l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif n’a jamais trouvée–il n’avait probablement pas de ChèreEpouse pour l’aider.

Il faut maintenant augmenter ses notes de frais des deux ou trois pintes qui serviront à se mêler à la population de l’endroit, pendant ce temps qu’une dame prend sous son aile les trois enfants et les gave de tartines beurrées trempées dans un chocolat chaud vite brillant de centaines d’yeux en grappes.
On est à peine passés au tutoiement qu’un porteur de banane, rouflaquettes et veste en jean bleu clair tirant sur le blanc trame propose d’amener nos quatre parisiens au domicile de cette vieille bique d’Yvon dont l’évocation, à en croire l’heure passée à polir ses coudes sur le zinc, est toujours une riche source de rires.

Un court passage dans une camionnette non pourvue de sièges enfants et LePaf pousse un bouton de cuivre vert oxyde qui suit immédiatement le « L » final de Jezequiel.
Une fois, deux fois, trois fois avant d’entendre une voix invitant André à rentrer.

Vous ai-je précisé que LePaf ne se prénommait pas André ?

(A suivre)

mercredi 1 février 2012

Episode 1 : où LePaf voit sa carrière rebondir et la panique lestée d'enfants qui s'ensuit.

LePaf aimerait se dissoudre dans la mousse chaude. Qu’y fonde un peu des maux de tête que les bières de la veille et trop peu de nuit ont laissé en dépôt.
L’après-midi est déjà bien avancée mais les différents dépôts d’enfants, courses faites, lessive lancée et intérieur briqué, frais, parfumé déculpabilisent le baigneur tardif.
Moqueuse de ce petit arrangement, une sonnerie vient rappeler qu’un bain tranquille est un bain qui se prend tôt.
Rien n’empêche de faire l’absent après tout. Bien souvent, quand derrière la porte un doigt insiste sur la sonnette, LePaf s’applique à maintenir silence et platitude d’eau dans son petit espace d’émail blanc. Et le doigt se lasse.
Comme le fâcheux du jour use du téléphone il devrait être plus facile encore de n’y pas faire attention mais quand le portable prend le relai du fixe puis le fixe reprenant ensuite c’est l’inquiétude qui monte et fait jaillir LePaf de l’eau dans une gerbe d’éclaboussures et de jurons auxquels répondent, comme toujours, les coups énervés du balai de monsieur Orgemou, ses conseils et ses reproches, tapis derrière les trop fins murs de placoplatre qui nous séparent peu.

Oui ?

L’inquiétude semble bien installée sur le visage DuPaf, confortable, là pour longtemps.
Rien à voir avec la qualité des nouvelles annoncées, plutôt bonnes, voire très, mais bien plus avec la tendance DuPaf à poser d’abord les complications dans la balance.

ChèreEpouse n’est pas là. Partie pour une de ces missions très importantes, très compliquées et très éloignées pour deux longues semaines.
Implication : pas de déplacement sans enfants, un verre d’eau parfait pour s’y noyer.
Puis, on charge un peu l’autre plateau :
C’est le premier boulot qu’on me propose depuis… ? Je ne sais même plus. Compter m’a déprimé depuis trop longtemps. Les finances le réclament, ChèreÉpouse ne me pardonnerait jamais d’avoir refusé.

Oui, bien sûr, je prends.
Au revoir. Oui, pour mardi, pas de problème.

Sur le petit carré de papier que fixe LePaf durant les cinq bonnes minutes qui suivent, sont griffonnés

Yvon Jezequiel
Spécialiste
Chemin du Trouz
29 Tremarcheg
Demain
19h30
Pas de téléphone

Le tout disposé en vrac et entouré de hachures non dépourvues d’ambition artistique visible aux yeux de l’auteur uniquement.


Du travail.
Depuis qu’il s’était exilé, superbe et orgueilleux, du travail salarié fait de collègues, machine  à café et de chèques déjeuner, LePaf n’en a qu’épisodiquement retâté.
Il était parti en pensant vivre du clavier, de chez soi, à pondre des phrases que vendeur de papiers et d’écrans ne manqueraient pas de s’arracher.
Mais, soit qu’il ait surestimé les besoins en la matière, soit qu’il ait, à l’inverse, mésestimé la capacité des commanditaires à reconnaitre l’évidence de son talent, la frappe sèche et rythmée DuPaf sur l’Azerty ne ramenait que peu d’argent dans la cagnotte familiale. Un peu assez proche de rien.
A part Sténos, une agence de communication qui refourguait textes, photos ou vidéo à tout demandeur dans le besoin, une revue spécialisée dans la pêche en Bourbre ou un site d’information dédié à l’importance pour l’économie française des métiers du cuir, peaux et tannerie, les autres s’étaient spécialisés dans la commande unique et restaient fermes dans leur décision de ne pas donner suite quelles que larmoyantes ou surenjouées soient les relances Pafiennes.
Depuis la porte claquée sur son dernier open-space, il n’avait pratiqué à haute intensité que les activités de Père au Foyer.

Le manque d’habitude rend le retour aux affaires un peu difficile.
Par quoi commencer ? Retaper dans les moteurs de recherche certaines phrases dites par Nicolas, la voix de Sténos (« musicologue de renom » ; « l’un des plus grand spécialiste des musiques d’Amérique du nord » ; « organisateur d’un concours de danse country mondialement reconnu » ; « a sabordé son festival il y a quelques années » ; « pour Breizh cowboys magazine »).
En négliger une partie (« n’a pas le téléphone » ; « une connaissance d’un journaliste local qui travaille parfois pour nous » ; « A ta disposition » ; « 12 000 signes »).

Ah, et la réservation des trains ? Et comment faire pour rejoindre ce bled ? Une société de taxi ça se trouve là-bas ?
Et combien ça va me couter ?
Et le défraiement, j’ai complètement oublié de demander ce qu’il en était du défraiement. Je le rappelle… plus tard. Oui, plus tard.
D’autant que c’est, à une grosse vingtaine minute de retard près, l’heure d’aller chercher ma progéniture dispersée.

Sortir du peignoir râpé et encore trempé d’une sortie de bain précipitée, peignoir qui fait si bonne impression aux divers démarcheurs et donne au rictus de monsieur Orgemou ce qu’on appelle, je crois, un air entendu.
Passer des vêtements propres dont on se rendra compte sur le trajet vers la crèche qu’ils sont suffisamment éloignés de ceux du matin pour que saute aux yeux du personnel que le père de MaPrincesse est encore venu déposer sa fille tout chaud de sa sueur nocturne.
Regarder davantage sa montre que le trajet et passer près d’un capot bleu pétrole lancé à la cinquantaine de kilomètres/heure réglementaires par un gros chauve en chemisette hawaïenne que le regard se voulant courroucé DuPaf ne semble pas bouleverser outre mesure.
Débiter, en poussant la dernière porte barrée de six digicodes les habituelles excuses à propos de ce retard qui ne se renouvellera pas.
Répéter ces dernières à la grille de l’école.
Rentrer au plus vite chez soi avant que les enfants, enfin la plus petite d’entre eux, ne vexe durablement l’un de ceux qu’elle décrit de sa poussette, regarde, papa, la madame elle a de la moustache. Regarde papa, le monsieur il est gros, regarde papa, le monsieur, il a plus de cheveux, regarde papa, la madame, elle est vieille.
Ne pas croiser les regards et conduire la poussette à travers la foule le plus vite possible.

Les enfants, demain on prend le train, papa doit rencontrer un très vieux monsieur pour son travail, vous serez très sages n’est-ce pas ?
Et LePaf semble y croire, ce qui lui permet, un peu délesté de ces inquiétudes dont il s’accable tout seul, de valider ses billets de trains, d’appeler la société Taxis Chalouni et ses trois taxis pour vous servir avant d’annoncer la bonne nouvelle à une ChèreEpouse ravie ne manquant pas de souhaiter courage pour le trajet, inspiration pour le travail et fermeté pour la demande de défraiements. Le temps de ne pas trouver davantage d’informations sur Yvon Jezequiel et LePaf part pour une bonne nuit dont nous ne parlerons pas pour nous intéresser au lendemain matin quand, dans un hall de gare où LePaf occupé à diriger sa progéniture vers la bonne voie tout ou louchant d’un air inquiet vers les Famas déchargés des militaires en molle patrouille ne remarque pas ce monsieur gros et chauve qu’a pourtant reconnu MaPrincesse.

(A suivre)