mercredi 30 mai 2012

3terlude

« Tout concourt à se tromper de cible ; ce qui n’empêche pas de tirer dessus à chevrotines redoublées depuis tellement de décennies qu’il n’y a plus que deux choses certaines :
-    La santé de la cible résiste aux pires traitements.
-    Les tireurs auront montré autant d’obstination que de stupidité.

[…]

L’ivresse et autres extases artificielles n’ont été perçues ici que sous l’angle de la fuite donc, du point de vue du grand corps social, de la désertion. Crime suprême qui, on le sait, ne finit jamais que face au peloton d’exécution.

[…]

La transe a beau effaroucher par ses excès, elle n’est souvent pas plus déchéance pleine de bave et de grimace que la démission spectaculaire d’un pauvre hère harassé par la modernité.
C’est la visite édifiante des coulisses, du revers du monde
Ce qui, pour qui connait la clef, le plan d’accès, les règles d’usage, et le chemin du retour, peut donner de quoi renverser le monde existant pour le refaire mieux et plus fort qu’il ne l’a jamais été. »

Extraits (supprimés lors de la publication) d’Armoricana d’Yvon Jezequiel

mercredi 23 mai 2012

Episode 15 : où le bon goût se fait malmener

MaPrincesse, indifférente aux dangers qui se sont joués au-dessus d’elle et descendent maintenant, sur huit jambes, dans la cave humide, dort d’un sommeil profond et souple, limpide quoique son visage strié de bave séchée puisse faire croire à des agitations. Paisible et rayonnante dans sa pâleur coiffée de roux, comme sur le lumineux fond d’écran de quinze pouces d’une ChèreEpouse éreintée par sa journée, excédée par les constant débordements de son protecteur rapproché et désespérée de ne pouvoir se connecter au réseau mondial pour avoir des nouvelles fraiches de la famille, le téléphone Pafien étant, il faut le croire, éteint.

D’une telle accumulation de déplaisirs elle ne peut voir dans les coups frappés à la porte qu’un présage de nouveaux désagréments. Et ce malgré une nature – je crois vous l’avoir déjà dit – portée à un optimisme d’une telle constance qu’il est surnaturel.


Et le choc esthétique consécutif à l’ouverture de porte tendrait à confirmer les sombres prédictions. Des couleurs criardes qui débordent, semblent vibrer, bouger de manière indépendante, sans doute dans une bien compréhensible intention de fuir la chemisette hawaïenne qui a entrepris, dans un geste criminel, de les réunir sur elle.

Derrière, deux hommes aux reposantes teintes sombres du costume de l’officiel comme le montrent les plaques tendues face au visage de ChèreEpouse, lui présentent en cœur l’auteur de l’attentat visuel : « l’officier Delage ».

S’ensuit, tout ce petit monde installé dans les deux fauteuils club et le canapé du petit salon, un grand verre d’eau devant chacun, un déluge d’informations inquiétantes pour la plupart, importantes, toutes, plus en tout cas que ChèreEpouse n’en a entendu, sa vie entière durant.

Les deux costumes aux papiers assurant leur appartenance à un des ces corps d’Etat dont les amateurs d’espionnage et barbouzeries suivent les aventures fictionnalisées tout en étant très contents de ne pas y être mêlés d’une quelconque façon, ces deux messieurs, donc, présentent tout au long du discours explicatif de l’officier Delage des airs de gravité compréhensive si parfaitement identiques qu’il est à peu près certain qu’il est issu de leurs années de formation.

Ainsi encadré par ce qui donne solennité et sceau d’officialité, l’officier au crâne poli et habits dont la charité nous interdit de parler une fois de plus, livre un discours dense en informations et rythmé par ce balancement si typique de la prose de rapport officiel.

Balancement dont je vous prive préférant à sa restitution fidèle un résumé, moins charmant mais aussi moins propre à vous lasser.
Faites-moi donc un peu confiance.

Nous avions laissé Delage dans la maison d’Yvon envoyant LePaf et fils (et fille) se planquer dans le désordre de l’étage. Pendant que les enfants se prenaient au jeu du cache-cache autour de leur père, tous sangs d’encre rongés, le défenseur armé de l’ordre républicain faisait la connaissance de Sergio, Loïck, Erwan et Serge.

Un solide entrainement, un système nerveux naturellement peu sensible aux fortes pressions et hautes températures, le tout épaulé par un physique bonhomme pour lequel il est tout à fait difficile d’éprouver de l’antipathie lui permirent de duper les quatre qui, malgré une agressive méfiance en banderole démontrèrent surtout une naïveté balourde.

Réussissant à leur fausser compagnie sans esclandre et, même, accompagné par les saluts rituels réservés aux camarades de la cause, Delage, une fois rassuré sur les destinées Pafiennes se pencha davantage sur la branche armée de la famille Jezequiel.

Aidés par la surveillance téléphonique mise en place sur l’ensemble des participants à la tournée africaine de ChèreEpouse – fort peu discrète, veuillez nous excusez – il n’aura pas fallu beaucoup de temps pour le localiser.

Nous sommes donc ici pour procéder à l’interpellation du suspect dont nous espérons tirer les informations suffisante à l’arrestation de ses complices ainsi que des gens qu’ils doivent fournir en stupéfiants en même temps qu’obtenir les informations nécessaires à la libération de votre famille dont tout porte à croire qu’elle est actuellement retenue en otage par lesdits complices.

Et ChèreEpouse de rester tout ce temps de révélations anxiogènes bouche bée devant l’éprouvant spectacle lumineux de la chemisette dont nous avions pourtant convenu de ne plus reparler.

mercredi 16 mai 2012

Episode 14 : où vient enfin le temps des présentations

MonAîné se demande si le vieux monsieur rouge et blanc qui s’appelle Yvon Jezequiel comme c’est écrit sur la première et la dernière page de son livre sur la musique, ce qui est normal parce que papa aussi il écrit sur la musique, enfin pas seulement mais souvent, et que c’est pour son travail qu’il a emmené tout le monde, tout le monde c'est-à-dire moi, mon frère et ma sœur mais pas maman que son travail a fait se déplacer aussi mais ailleurs et loin.
Bref, je me demande si Yvon est plus fou quand il écrit ou quand il parle.

Il ya des moments dans son livre des moments où on apprend plein de choses intéressantes et puis d’autres où on ne comprend rien mais ça ressemble un peu à ces messieurs qui, dans la rue ou le métro ou le bus mais plus dans la rue ou le métro, ces messieurs, donc, qui parlent tout seuls avec des cris soudains et sans raison, enfin sans raison évidente, plusieurs fois au hasard de leur monologue.

De fait, nos quatre soldats de l’armée de libération contre l’oppresseur français voire fasciste, n’ont jamais trouvé le frère du chef bien fiable eux non plus.

Mais peut-être serait-il temps de prénommer ces messieurs depuis maintenant sept épisodes et deux interludes qu’ils furent décrits par le menu dans un restaurant de hamburgers.

Reprenons donc l’ordre des premières présentations :

-    "Le robuste dégarni d’abord. Toujours vêtu d’un cuir brun et élimé on l’imaginerait bien porter dessous le genre de débardeur taché de sang par une heure trente d’héroïques castagnes et catastrophes cinégéniques. Une rude virilité soulignée par un port de lunettes fumées sur des montures en métal doré couvrant un bon tiers de son visage", a pour petit nom Sergio ce qui est loin d’être en soi un brevet de bretonnitude. D’où peut-être un rien d’excès dans son combat. Vous me direz, il a choisi la frange – celle de la lutte armée – propre à assouvir son penchant pour la radicalité. Mais à l’intérieur même des extrémistes, il effraie par ses propositions. Dans le débat qui a précédé la descente à la cave dont il a déjà été question lors des deux derniers épisodes – ce récit en est à une phase stagnante traversée de retours sur soi – Sergio, pessimiste quand à la possibilité d’obtenir quelque information que ce soit de la tafiole et ses trois mômes fut partisan d’un massacre exemplaire propre à montrer aux Clients qu’ils n’étaient pas moins méchants qu’eux.

-    "le géant au crâne lui aussi semi-nu mais pourvu sur la nuque d’un long filet d’une chevelure blonde dispersée en tentacules humides de graisse. Adepte du cuir comme son devancier à ceci près que la couleur vire cette fois au pourpre et que la forme plus longue, dite trois quart, laisse des rebords ouverts former comme des parenthèses autour d’un quintal au bas mot" fut baptisé d’un Loïck bien dans le goût de sa région natale et de cœur. Jamais vraiment remis d’une déchirante parenthèse de treize années passée en banlieue parisienne, il éprouve quotidiennement le besoin de résoudre les problèmes de mélancolie causés par ce traumatisme à l’aide de fortes quantités de vin rouge et de nourriture carnée. Prenant peu part au débat, il se range toujours à l’avis de son ami d’enfance : Erwan.

-    Erwan, c’est le "quinquagénaire à lunettes, gris de crin court et qu’on imagine plutôt maigre dans ses amples vêtements à la mode chinoise bretonnisés d’un lourd triskèle en pendentif". Malgré son nom du cru, Erwan est né à Puteaux où il s’est lié d’amitié avec Loïck dès les premières années de leur passage commun à l’école publique, laïque et obligatoire formant ici un duo de silhouettes ayant quelques airs de famille avec de célèbres personnages du cinéma muet. Descendant d’une bonne, partie chercher un peu moins de misère en direction de Montparnasse, Erwan n’a jamais douté de la légitimité de son combat et serait fort surpris qu’on puisse le considérer plus comme un converti que comme un natif. Dans la palabre pré-descente, Loïck passa un temps, selon ses camarades, beaucoup trop important, à peser chacune des options possibles. Avant d’opter pour un dosage de l’ensemble (interrogatoire des prisonniers sans violence excessive et remise aux Clients pour ne pas avoir à se poser la difficile question du sort de la famille Pafienne).

-    "le sombre moustachu. T-shirt à col montant entre le rouge et le jaune suivant les jours et l’éclairage sous une veste en tweed rapiécée aux coudes" s’appelle Serge. Avec "une peau soumise à une pilosité brune, dense, drue et trop vivace pour se tenir longtemps tranquille après le passage du rasoir" on l’aurait volontiers appelé Sergio, plus que son camarade cité trois paragraphe au-dessus. Mais, avec toutes les générations précédentes connues nées dans les Monts d’Arrée, personne ne contestera, malgré des carnations plus typiques des pays méditerranéens, la pureté AOC de ses origines. En tant qu’habituel "distributeur des tours de paroles à coups d’index pointé" il est, en l’absence du chef – André bien sûr – le preneur de décisions. Et c’est pour le compromis proposé par Erwan qu’il opte.


Maintenant que la décision est prise, il est temps de descendre à la cave pour commencer à poser quelques questions aux détenus parisiens.
Ne restera alors que le problème André.
Sans nouvelles du chef, il faut espérer qu’il réussira à rentrer dans les temps pour être au rendez-vous donné au rocher aux singes du parc de Vincennes ce dimanche.
Il est assez à craindre que les clients ne prennent pas extrêmement bien une contrariété supplémentaire.
Même Sergio serait prêt à l’admettre.




mercredi 9 mai 2012

Episode 13 : où un Indien entre brièvement en scène

MonTerrible a dans sa paume un trésor.
De toutes les choses glanées depuis le grand départ la plus belle trouvaille est ce simple caillou, blanc, galet poli et doux comme une caresse maternelle.
Caresses maternelles qui lui manquent beaucoup.

Surtout maintenant que les amusements sont passés, et qu’il se retrouve dans cet endroit qui sent mauvais, et où il fait froid.
En plus le livre l’ennuie.
On y parle d’indiens, de musique et de tout un tas d’autres choses qui pourraient être chouettes mais en fait on ne comprend rien à ce qu’il dit. Il n’y a pas l’air d’avoir de bataille ou de grosses fêtes.
Si même dans les livres on ne trouve plus d’aventures il n’y a plus que l’ennui.
Partout.

Un frère qui continue à lire avec, sur les genoux une sœur endormie.
L’ennui.

Un père qui ne répond plus comme lorsqu’ il est en colère ou travaille ou revient d’un déjeuner avec ses amis.
Un père inutilisable.
L’ennui poisseux dans lequel on s’empêtre.

Alors à défaut de quoi jouer, des caresses maternelles dont le souvenir remonte à loin, peut-être plus encore dans l’esprit de ChèreEpouse, on passe le temps en égrenant son butin puis on se charge de la douceur de ce galet tellement blanc, régulier, parfait qu’il est surement chargé de pouvoirs magiques.

« Comme une pierre philosophale tu crois ? »

Mince, il pensait à voix haute ?
MonAiné est pourtant toujours à sa lecture.
Il aura imaginé cette question de SonAiné tellement MonAinesque que cette pierre philosophale pourrait en être la cinquième essence ?

C’était quoiqu’il en soit une réflexion pertinente et assez proche de la réalité tout étonnant que cela puisse paraitre.
Puisque je vous l’écris !
Et LePaf à la double condition qu’il ait écouté le bref échange – partons du principe qu’il n’était pas imaginaire – entre ses deux fils et ait pu aller jusqu’au bout de son souvenir.
Double condition impossible si on y réfléchit un instant.

Et puis il n’est pas sûr qu’aller au bout du souvenir ait suffit car, à vrai dire, la fin du récit jezequielien, LePaf, entre embarras, pressions de la foule et souci bien légitime de sa progéniture, ne l’a écouté que très approximativement.

Si LePaf avait été le narrateur omniscient de sa propre histoire, au courant de tous les détails concernant de près ou de loin les péripéties passées et à venir par lesquelles passe l’ensemble de sa famille, voici ce qu’il aurait su des affaires Jezequiel :

Yatho Glaz, la cinquantaine avancée n’en déplaise à ses long cheveux nattés d’un noir absolu qui refuse de blanchir est, comme le précisait Yvon lors de ce bref instant durant lequel il bénéficiait d’une oreille attentive, est un membre de la nation Cherokee originaire de l’Etat de Géorgie.

En plus d’avoir tenu la basse d’un groupe de musiciens à franges, plumes et maquillage tentant de marier les signes les plus reconnaissables de la country & western et des chants et flûtes amérindiennes propres à ses origines, il a longtemps exercé l’honorable travail de laborantin dans une usine de cosmétique.

Une allergie de plus en plus marquée aux contraintes de la vie professionnelle ajoutée aux faibles revenus tirés de son activité artistique l’auront conduit vers les plus profitables eaux des confection et commerce de drogues de synthèse. Domaine dans lequel il s’est rapidement révélé très doué, notamment en ce qui concerne la production où il développa, de l’avis même de la plupart de ses clients, une inventivité de l’ordre du don divin.

Quelques bisbilles commerciales qui, dans ce milieu, prennent vite d’importantes et funestes proportions, lui rendirent très séduisante l’invitation à se produire – en tant que bassiste de groupe – en France, ainsi que les possibilités d’y rester en compagnie d’une Léonarde rencontrée, conquise et épousée sur place en moins de temps qu’il n’en fallait alors à ses camarades musiciens pour dilapider dans les différents troquets locaux les dividendes des quatre dates de leur tournée internationale limitée à l’ouest finistérien.

Depuis lors, les nombreux festivals musicaux se déroulant dans sa nouvelle région d’habitation suffirent à pourvoir aux modestes besoins de sa petite famille et ce jusqu’à ce que les plaintes d’Yvon Jezequiel réveillent en lui la folle ambition qui marqua ses débuts dans les stupéfiants.

Proposant d’associer ses compétences aux moyens et réseaux du frère indépendantiste, il se remit à l’ouvrage avec tout le cœur qu’il lui fut possible de mettre dedans.
Ce n’est que le retour de l’eau de feu à ses envoyeurs se répétait-il quand ses pensées venaient à errer près des régions de la mauvaise conscience.

Mais l’ambition fut contagieuse.
Et les clients, alléchés par la galopante montée en qualité des produits se mirent à voir les choses en grand et augmentèrent leurs exigences qui auraient paru extravagantes si elles n’avaient été appuyées par de menaçants gros calibres.

Panique chez les entremetteurs bretonnants du gang d’André, eux-mêmes transmettant menaces et inquiétudes à Yvon et Yatho.
Le premier choisit comme remède aux angoisses un doublement de sa consommation habituelle d’anesthésiants en tous genres quand le deuxième opta, entre toutes les poudres qu’il croisa ou confectionna durant sa vie, pour celle d’escampette.
Bon camarade, il laissa tout de même à Yvon un exemplaire de son nouveau produit révolutionnaire dérivé de l’ibogaïne, la formule permettant de l’obtenir, un laboratoire en état de fonctionnement ainsi qu’un curieux minéral blanc et lisse, indispensable selon ses dires à l’opération.

Yvon, entre deux crises d’irrationalité explosive, cacha l’échantillon dans un de ses tubes à chapeaux, le caillou derrière l’autel d’une vieille église désaffectée à quelques centaines de mètres de chez lui et entreprit de coder la formule et ce, sans y comprendre quoi que ce soit, pour en faire une énigme si tortueuse que seul son esprit, sculpté par des années d’excès, paraissait apte à s’y diriger.


Vous aurez compris qu’il lui fut impossible de remettre la main sur tout cela d’où une panique qui, comme nous l’avons déjà vu est aussi contagieuse que l’ambition et se mit à gagner notre mini armée d’indépendantistes. Lesquels ne trouvant plus ni André ni Yatho se rabattirent sur la famille Pafienne qui avait eu la mauvaise et très soupçonnable idée de chercher récemment à rencontrer Yvon.

Ne sachant pas trop s’ils pouvaient espérer tirer d’eux quelque information utile ou en faire un présent suffisamment amadouant pour les acheteurs de stupéfiants en gros qu’ils étaient censés contenter dans peu de temps.

En l’absence de leur chef parti gagner son bara et se fournir en matières premières du côté de l’Afrique, c’est sans avoir pris de réelle décision qu’ils étaient descendus visiter leurs prisonniers tandis que LePaf se revoyait dans l’odeur des hamburgers de gare et que MonTerrible se frottait la joue de son caillou.

mercredi 2 mai 2012

Episode 12 : où le souvenir se fait refuge

LePaf est détendu.
A partir d’un certain niveau d’invraisemblance et d’intensité, à quoi bon se mettre le grand-père de Charlemagne en tête pour chercher des solutions, échafauder des plans d’évasion, ou même de comprendre ce qu’il fait sur ce sol humide et poussiéreux qui tacheront, à coup sûr, son fond de pantalon ainsi que ceux de sa famille à un point qu’ils seront certainement très difficile à ravoir ?

Rien, même les situations quasi cataclysmiques ne l’empêcheront donc de penser, lessive, vaisselle, serpillière et baignoire à récurer.
Pareil à ces animaux décapités qui continuent à courir en tous sens.
LePaf se mord la joue devant ce qu’il considère comme une comparaison tout à fait déplacée vues les circonstances assez hautement dangereuses tout de même.
Si si. Au moins potentiellement.

Ne pas penser, revenir à cet état d’hébétude qui l’apaisait tant tout à l’heure malgré le danger qu’on devine important sur sa propre tête autant que sur les plus ou moins blondes mais très chères détenues à ses côtés.
Laisser dériver les idées dans de libres associations aussi loin que possible.

Et quelque chose accroche ; de pas si lointain.

« Vieux monsieur ! C’est le vieux monsieur ! »
Yvon Jezequiel, dans ce fastfood alors qu’une alerte à la bombe, la curiosité, le voyeurisme et les leçons de MonAîné provoquent d’importants mouvements de masses.
A contre-courant de la plupart d’entre eux il attire à lui LePaf, ses deux bras enroulés en lianes rêches autour du seul droit DuPaf.

De leur fugace entretien, LePaf s’aperçoit qu’en sa mémoire Yvon s’était résumé à trois principaux traits.
Rouge de teint, blanc de crin, et toujours ce débit en chute libre où viennent en éboulement un fracas de confessions et d’excuses.

« Je ne pouvais pas rester sans rien faire.
Mon festival, la musique, c’est vital. Pour moi et aussi pour tout ça je veux dire là-bas, chez moi.
Ce qui se joue, c’est plus le loisir ou même l’art. C’est l’air qu’on respire, c’est nous même. Je veux dire tout le monde.
Enfin au moins là-bas.
Pour l’instant…

Mais si tu n’as pas d’argent tu ne peux rien faire.
Alors il faut avoir de la ressource. Chercher ailleurs.
Les subventions on va les chercher tout seul. Avec les dents s’il faut.

C’est mon copain Yahto qui a trouvé un truc.
Une combine à lui mais qui pouvait devenir un vrai gros truc.
Yatho Glaz, c’est un indien.
Un vrai.
Cherokee.
Je l’ai fait venir ici avec son groupe il y a quelque chose comme vingt ans. Oui, je crois que c’est ça, vingt ans.

Euh….

Ah oui.
Yahto pouvait nous faire gagner de la caillasse, plein, vu que je connaissais des gens, enfin, mon frère surtout.

Alors ça commençait à marcher. Les affaires hein.
Enfin les premières.
Des rentrées mais pas de quoi remonter le grand truc.
Celui qui est important avec les musiques, les danses, les décors et puis un discours aussi.
Une pensée.
Quelque chose qui fasse revenir la vie ici, je veux dire là-bas et puis envahir tout ensuite.

Ça, mon frère il était d’accord. Mais c’est le pognon qui est devenu le problème.
Il pensait qu’on pouvait en avoir plus. Beaucoup.
Vital !
C’est lui qui le disait.
A voir la guerre partout, comme lui, l’argent, c’est toujours plus.
Le nerf.
C’est ce qui se dit, j’imagine que c’est vrai.
Mais… La guerre partout ?

Punaise !
La guerre partout !
Vous voyez comment ils pensent, lui et les autres, là ? »


Comme refuge on eut pu trouver mieux, vous l’avouerez.
Parmi le stock de souvenirs à disposition DuPaf, même sans fouiller beaucoup, on aurait facilement pu trouver plus agréable, plus réconfortant.
Mais il s’en contentait au point qu’il s’y serait bien baigné plus longtemps encore si leurs hôtes aux si brutales manières ne s’étaient décidés à descendre à la cave.

Attirés par des pensées communes, sans doute.
Car eux aussi avaient têtes et bouches pleines des Jezequiel, sujet d’une conversation de houle et d’angoisse dont on peut penser que l’épilogue se jouera au sous-sol, là ou la terre est humide, salissante aux vêtements des otages.
Des deux frères bretons, c’est André qui fut le plus cité. André leur camarde de lutte, leur chef pour ainsi-dire, craint et respecté.
Craint, surtout.
Avant tout.
Mais ce n’est pas avec des agneaux qu’on fera couler le sang suffisant pour libérer la Bretagne.
Comme il disait.
André.

Dans toutes les têtes.
Même à quelques méridiens et bien plus de parallèles de là.

Écrasée entre le cuir de la jeep et la chaleur à ce point forte qu’elle devrait se consumer elle-même, ChèreEpouse se retient de soupirer ses agacements devant ce garde du corps vantard, vulgaire, méprisant et brusque qu’on imaginerait sans peine fouetteur compulsif d’esclaves harassés par les travaux de canne à sucre.